Sorti en 2022, le jeu vidéo Card Shark nous plonge dans un scénario au cœur du XVIIIème siècle français. Lea joueur·se y incarne un jeune garçon d’auberge muet tout au long d’une ascension sociale spectaculaire. Pourtant comme nous allons le voir, la mise en jeu de la tricherie par le titre à quelque chose de déroutant et qui laisse entrevoir une thématique plus profonde : celle de la proximité native entre le modèle du jeu d’argent et la manière dont l’économie capitaliste en développement va concevoir la bonne circulation des richesses.
Le propre du capitalisme est de récupérer ce qui lui fait obstacle, de transformer les critiques en nouvelles valeurs. Tout en se réorganisant sans cesse économiquement – en changeant les conditions de production disait Marx –, le capitalisme crée l’atmosphère nécessaire à son nouveau développement pour accompagner les changements et être toujours moralement acceptable. Les valeurs de liberté, d’autonomie, de créativité et d’authenticité, ont donc été, un temps, nécessaires au capitalisme. Et le hasard un jour pourrait-il être récupéré par le capitalisme ?
Dans des traditions spirituelles, le hasard pouvait peut-être être entendu comme liée au dessin des divinités et faire ainsi partie entière de notre monde. Mais ce hasard devient un véritable sujet problématique dans une société sécularisée où il ne peut plus prétendre être un lien visible d’un arrière-monde invisible. Il convient alors d’affronter la question du hasard, son incertitude étant insupportable. Dans le présent article nous allons proposer de jeter un regard analytique sur l’assurance – ou les assurances – en tant que forme de réponse à certaines questions que le hasard pose à l’humanité dans son ambition prédictive et dans son aspiration à la sécurité.
A été réalisée pour cet article une enquête auprès d’un échantillon d’une cinquantaine de personnes. Il leur a été demandé l’étendue de leur connaissance sur Dooz Kawa, leur avis sur celui-ci et/ou un avis sur l’une de ses chansons après audition. En se basant sur le revenu, le lieu de vie et d’études ainsi que sur le métier des partcipant·es et/ou de leurs responsables, iels ont été classés en fonction de leur appartenance sociale d’après la classification proposée par l’Insee1. Certaines des réponses obtenues sont donc exploitées dans cet article afin d’éclairer les liens entre goût esthétique et classes sociales.
A l’été 1967, c’est l’apothéose des sixties avant l’heure : une décennie de lutte, de contre-culture et (surtout) de musique se donne en spectacle. En juin et juillet, des révoltes raciales parcourent le pays comme une traînée de poudre, tandis que la vague de contestation culturelle plus ou moins pacifique du Summer of Love consacre le rock’n’roll, jetant la première pelletée sur le cercueil de la vogue Folk des années 1950-60. Comment en est-on arrivés là ? Pour le savoir, il faut revenir aux origines de la folk contemporaine ; se concentrer sur ses fondements philosophiques, sur sa trajectoire et sur son devenir.
A quoi sert-il d’aller à la faculté de philosophie ? D’ordinaire, la réponse est donnée par le silence qui accompagne le déroulement borné des habitudes : si la faculté fonctionne, elle fonctionne bien pour quelque chose. Impossible pour un étudiant d’envisager sérieusement la question. Il n’a que rarement le temps de réfléchir : il doit philosopher. Seule la perspective sérieuse de l’arrêt permet d’interroger ce qui fonctionne.
La musique black metal est indubitablement marquée par une recherche de violence et de transgression. Pour une partie de la scène, cette recherche a fini par se tourner vers des thématiques telles que le paganisme européiste, le questionnement identitaire voire, parfois, le nationalisme européen. Autant de thématiques prisées par l’extrême-droite qui a vu dans le black metal un champ musical propice à l’instrumentalisation. Une partie du genre est aujourd’hui de facto, une de ces subcultures musicales «devenues éléments constitutifs de la culture nationaliste-révolutionnaire/néodroitière»2. Cette situation sulfureuse du black metal sur la scène musicale force l’interrogation sur les liens entre esthétique et idéologie. Qu’exprime donc la passion haineuse que le black metal semble s’être fait vocation d’incarner ?
Le personnage central de Nier Automata dont lea joueur·euse a le contrôle pendant la majorité du jeu est 2B. 2B est un androïde créé par l’humanité pour mener la guerre contre des robots envoyés par une espèce extraterrestre et qui ont forcé l’espèce humaine a quitter la planète. Le scénario nous révèle que l’humanité, au loin du champ de bataille dans lequel combat 2B, a disparu. Comment alors 2B peut-elle encore représenter une humanité qui n’existe plus ?
« Dieu est mort », c’est ce mot célèbre du philosophe Friedrich Nietzsche que le jeu vidéo Nier Automata met en scène en le prenant au pied de la lettre. Une mise en scène qui passe d’abord par un scénario qui, dans sa trame principale, pourrait se résumer ainsi : en 11945, sur terre, l’humanité mène une guerre contre une espèce extraterrestre. Seulement, cette guerre est en réalité faite par procuration. Alors que les extraterrestres envoient des robots pour combattre, les humains ayant fui la planète envoient pour leur part des androïdes lutter à leur place. Lea joueur·se incarne pour une part importante du jeu l’une de ces androïdes : 2B (la prononciation anglaise renvoyant bien sûr à la fameuse question de Hamlet « to be or not to be »). Rapidement un retournement scénaristique apparaît : l’espèce des extraterrestres comme l’humanité se sont éteintes au loin de la planète où se mène le combat. Les robots comme les androïdes se retrouvent alors sans créateur, la fonction qui leur était assignée perd son sens : Dieu est mort.
Créature à la fois effrayante et fascinante, le monstre est depuis des siècles le sujet d’autant d’histoires qu’il n’y a de cultures. Omniprésent dans les mythologies antiques jusqu’aux romans actuels, c’est avec l’invention et l’essor du cinéma que celui-ci a pris une place plus qu’importante dans l’imaginaire collectif. Il représente un exutoire pour nos peurs, une incarnation nous dédouanant de nos pensées les plus sombres, une aberration qu’il faut pointer du doigt, monstrare de son étymologie latine. Cependant, bien qu’un comportement dit « monstrueux » puisse être attribué à une personne et ses actions, cet article traitera seulement du monstre en tant que créature se définissant non-humaine.
Pendant qu’Instagram censure l’Origine du monde ainsi que tous les posts où un téton féminin oserait se pointer, je vous propose un petit détour par le Moyen Age où l’on pouvait croiser une « femme sculptée [ouvrant] son sexe avec les mains » dans la nef d’une église, « des sodomites » dans un livre de prières médiévales ainsi que des « culs sculptés » dans un décor urbain. Les uns crieront à l’obscénité, à la nudité choquante et intolérable, les autres riront de la pudibonderie exagérée et insensée de ces derniers : où donc placer les limites de la décence ?
« Le corps est notre dernier sanctuaire » : à l’occasion d’une interview au micro de France culture, le chorégraphe Angelin Preljocaj aborde la thématique du corps chez les danseur·euse·s. Et plus particulièrement au sein du processus chorégraphique, là où, selon lui, tout se joue.
La Révolution de 1789, en France, et les périodes qui s’ensuivent, symbolisent l’émergence douloureuse d’une ère nouvelle. Croisées des chemins entre un Ancien Régime désuet et espérance en tout genre, du chaos apparent s’initie le désordre, et du désordre s’esquisse, au sfumato, l’ordre.
Dans le même temps, et parfois à des fins concomitantes, l’imaginaire collectif se ceint d’un nouvel outil : l’industrie. Une industrie en mesure de produire une identité commune originale, notamment par la littérature. La littérature, qui était jusque lors l’apanage d’une élite de sang, économique et intellectuelle, voit son lectorat multiplié. Mais qu’en est-il vraiment de cette démocratisation de la littérature ? Est-elle le fer de lance de la démocratie politique, des idées, des savoirs ?
Lorsqu’on parle d’imaginaire en littérature, nombreux sont celles et ceux ayant tendance à penser spontanément aux contes et autres histoires destinées aux enfants. En France, nous pouvons dire que la littérature se sépare en deux catégories distinctes : la blanche et la noire. La littérature blanche se caractérise par des œuvres dites classiques, répondant aux attentes d’une forme d’érudition et de sagesse que ne semble pas garantir son antipode, la littérature noire. Cette dernière se décline de la première de par son appartenance à l’imaginaire, regroupant ainsi la science-fiction, les polars, le fantastique ; plus généralement tout ce qui sort du réel auquel est rattachée la littérature blanche, celle-ci se voulant d’un niveau intellectuel supérieur à la noire.
Comment imaginer une littérature d’épouvante sans son florilège de monstres ? Comment parler de ce qui nous effraie chez Poe, Stoker, King… sans parler des figures monstrueuses et étranges dont ils peuplent leurs écrits ? Qu’il soit fait de chair et d’os, qu’il souille d’ectoplasmes l’air où il est suspendu ou qu’il prenne encore la forme d’une ombre sournoise, cachée là, au fond de l’esprit humain, peu importe ; il y a toujours un monstre.
The Monster est un personnage protéiforme, fruit de l’inconscient, il parcourt nos imaginaires et notre ADN. Symbole qui n’a pas fonction de faire autre chose que symboliser, il demeure du royaume du rêve et il est bon de ne pas trop en parler…
L’œuvre poétique et photographique de Claude Cahun (1894-1954), constituée dans la première moitié du 20ème siècle, fut redécouverte dans les années 1980. Cette reconnaissance tardive s’est effectuée en lien avec l’émergence dans l’opinion publique des questions du genre et de la transidentité. L’essai biographique de François Leperlier, C. Cahun. L’exotisme intérieur (Fayard, 2006), un catalogue chez Jean-Michel Place (1995), l’autre suite à une exposition au Musée du Jeu de Paume (2011), ont contribué à rétablir son œuvre dans l’histoire littéraire et plastique de la modernité.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Chez Gramsci, intellectuel et dirigeant du parti communiste italien au début du XXe siècle, les monstres sont consubstantiels à ces périodes d’ « interrègne » , « d’équilibre catastrophique des forces », que sont les crises. Cette citation célèbre issue des Cahiers de Prison, nous amène ainsi à chercher la raison de l’émergence des monstres politiques que nous rencontrons en période d’instabilité systémique, dans le développement même d’un type de crise propre à nos sociétés capitalistes modernes.
Fiction de l’imagination délirante, le monstre est tout autant un problème de philosophie naturelle. Qu’elle désigne des chimères étranges, comme lorsque Empédocle mentionne le cas de ces êtres mi-bovins mi-humains progressivement supprimés par l’ordonnancement du monde, ou des malformations congénitales non viables, comme le cas de cette chèvre à deux têtes née en 2020 dans une ferme du Wisconsin, ou n’importe quelle difformité plus ou moins anodine – avoir six doigts plutôt que cinq – la monstruosité pose la question de son origine. Comment une nature réglée, où règnent l’ordre et la loi, peut-elle produire ce type d’écart ? Comment rendre compte de ces déviations de la matière vivante ?
Interroger les relations de domination des adultes sur les enfants ne peut se faire sans mettre sur la table la question de l’éducation. En questionnant la multiplicité des possibilités pédagogiques, on peut entrevoir les lieux et les manières d’autres expériences qui déconstruisent l’évidence d’un impératif d’éducation telle qu’elle a cours actuellement. Sophie Audidière est maîtresse de conférence à l’Université de Bourgogne. Antoine Janvier est maître de conférence à l’Université de Liège. Ensemble, ils ont dirigé l’ouvrage «Il faut éduquer les enfants…» L’idéologie de l’éducation en question (2022, ENS Editions).
À l’heure où le sujet des violences faites aux enfants ressurgit plus que jamais dans les conversations, et où le voile sur l’inceste et la pédocriminalité commence à être levé, il convient de parler de leur évocation dans la littérature et dans les arts. Lorsque les victimes se réapproprient leurs histoires à travers les écrits, c’est d’abord comme cela qu’enfin le silence se brise.
Au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant », les procédures d’adoption transnationales définissent un faire famille idéal et continuent de prendre pour modèle la famille biologique. Depuis quelques années, les enfants adopté·es devenu·es adultes se réapproprient leur histoire et apportent un regard critique et politique sur ces parcours.
L’idée selon laquelle les enfants ont besoin d’amis adultes, exprime l’importance de nouer des relations dès le plus jeune âge. C’est un besoin humain. Elle montre aussi un besoin de sécurité. C’est dans S’évader de l’enfance (1974) que John Holt tente de libérer l’enfant de considérations qui ne favorisent pas son bon développement ni son épanouissement le plus fort. Ces considérations sont propres aux adultes, et s’inscrivent dans une éducation normative. La puissance de l’habitude fait que certaines attitudes, certains comportements et discours qu’ont les adultes avec les enfants sont à l’heure actuelle banalisés. Il semble essentiel de savoir ce qui peut être amélioré dans nos relations avec eux pour mieux les considérer et leur laisser une plus juste place dans notre monde de « grandes personnes », en interrogeant ce qui en fait obstacle.
L’écologie repose sur un consensus : la destruction écologique prend une ampleur telle qu’elle nous impose de réagir. Si on se penche sur le débat public pourtant, on s’aperçoit qu’elle n’est acceptée qu’en tant que série d’actions individuelles, que les pouvoirs publics ne pourraient qu’inciter sans l’imposer. Au-delà des illusions qu’on peut entretenir dans ces matières, on entrevoit que ce qui est rejeté c’est la légitimité des pouvoirs publics à limiter la liberté des individus.