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Le corps de l’artiste

« Le corps est notre dernier sanctuaire »1 : à l’occasion d’une interview au micro de France culture, le chorégraphe Angelin Preljocaj aborde la thématique du corps chez les danseur·euse·s. Et plus particulièrement au sein du processus chorégraphique, là où, selon lui, tout se joue.

Un matériau brut : le corps
Un corps c’est ce qui porte en son sein les origines de l’existence, cette chair et ces os qui portent et transportent les gens. Un corps, parfois aussi invisible à nos yeux que remarquable dans les yeux de l’autre. Et ce ne sont pas les phénoménologues qui diront le contraire : le corps est autant un jardin secret pour soi, que le symbole d’une interface avec les autres.

Être chorégraphe c’est guider les corps, faire appel à des sensations, des sortes de rêves éveillés pour pouvoir construire ce que l’on s’est imaginé. Dans le travail chorégraphique d’Angelin Preljocaj, le corps est amené à travailler de façon presque organique. Les séances de recherche chorégraphique sont faites avec et grâce aux danseur(e)s. Il dialogue en permanence avec leurs idées, leur improvisation pour faire émerger des nouveaux chemins créateurs. Il laisse la possibilité à ces artistes d’emprunter différentes voies. Il y a un fil rouge mais rien n’est écrit par avance. Ce dialogue est aussi fragile que puissant. Il confie à une journaliste, dans les locaux du ballet Preljocaj à Aix-en-provence, que chaque séance de recherche chorégraphique est différente, que tout pourrait changer demain ou dans l’heure.

Mais qu’est-ce que le travail chorégraphique révèle des danseur(e)s ? Qu’est-ce que cela révèle de leur corps ? De ce sanctuaire ? Ces corps puissants, sculptés, faisant face aux blessures, aux douleurs. Ce corps serait-il le sanctuaire intact et rêvé ? L’idéal de la force et d’une dose parfaite de vulnérabilité ?

L’instant de création
On dit souvent que pour construire quelque chose, c’est la solidité de la base qui compte. Ici, tout est renversé. La base ne se revendique plus comme ce qui fait tenir le tout, mais seulement ce qui a fait naître quelque chose. Et ce quelque chose c’est la créativité ; l’audace ; l’imagination. Angelin Preljocaj ne cherche pas à imposer une vision, ce qu’il cherche c’est construire, avec les vulnérabilités de chacun, quelque chose d’aussi éphémère que solide. Les danseur(e)s de la compagnie le disent eux(elles)-mêmes, chaque spectacle est différent, chaque mouvement résonne de façon particulière. Le corps obéit mais trouve, au sein de ce cadre, une liberté inégalée.

Lors d’une répétition ouverte au public à Aix-en-Provence, pour la création du Lac des cygnes en été 20202, les danseur(e)s ont été amené(e)s à travailler directement sur scène, alors que le spectacle n’était pas encore monté. Ce jour-là, Angelin Preljocaj met à nu ces danseur(e)s et son travail. Et contrairement à l’idée que l’on s’en fait, répéter sur scène est bien plus effrayant que de présenter un soir de spectacle, quelque chose d’achevé. Le corps est disséqué ; remodelé ; inachevé et il se trompe. Il échoue et parfois ce corps est laid. Les mouvements ne s’enchaînent pas, ils sont fragiles, presque prêts à tomber.

Dans leur face-à-face avec le public ce jour-là, les danseur(e)s ont montré toute la vulnérabilité de leur corps. De cette excellence qui ne repose que sur des heures de travail. Le public a aussi plongé, à cet instant, au cœur de l’intimité des artistes. Là où tout est possible.
Chloé Gillier

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