Médiaphi

Représenter le sexe

Pendant qu’Instagram censure l’Origine du monde ainsi que tous les posts où un téton féminin oserait se pointer, je vous propose un petit détour par le Moyen Age où l’on pouvait croiser une « femme sculptée [ouvrant] son sexe avec les mains » dans la nef d’une église, « des sodomites » dans un livre de prières médiévales ainsi que des « culs sculptés » dans un décor urbain. Les uns crieront à l’obscénité, à la nudité choquante et intolérable, les autres riront de la pudibonderie exagérée et insensée de ces derniers : où donc placer les limites de la décence ?

L’image sous le prisme du regard

Face aux radicales différences d’interprétation d’une même image d’un temps à un autre, permettez-moi de douter de la possibilité d’une conception normative de la bonne ou de la mauvaise image. En effet, de même que notre actuelle « crotte » était auparavant surnommée la « matière joyeuse », les représentations du sexe au Moyen Age ne rencontraient pas la même réception qu’aujourd’hui. Il suffit de plonger dans les archives pour découvrir un univers fantastique où se mêlent des « coïts champêtres, des verges ailées ou chevauchées […] des vulves cavalières couronnées de phallus […] » et bien d’autres.

Avant tout préjugé, sachez que l’artiste moyenâgeux n’avait pas moins de décence ou de pudeur que celui de notre cher XXIe siècle. En revanche, il s’ouvrait à un panel d’interprétations plus large dont un rapport particulièrement ambigu avec la représentation du sexe.

Plutôt que d’être réduite à sa seule dimension érotique et sexuelle, celle-ci pouvait évoquer une forme de protection en invoquant le bien par ce qui donne la vie ou bien en conjurant le mal par l’obscène. Si on pouvait l’exhiber dans un élan de transgression, elle pouvait aussi être utilisée par les institutions elles-mêmes pour exposer des contre-exemples. Enfin, si certains aspects peuvent encore nous échapper, on ne peut nier son simple fait comique.

Notre rapport au sexe ou l’histoire d’une morale

S’il est effectivement difficile de connaître les réactions suscitées par de telles images, notre approche sexuelle était loin d’être généralisée : c’est à l’aube de la Renaissance que la morale chrétienne s’est endurcie et a farouchement condamnée ce qu’elle considérait comme obscène. En envisageant alors la représentation des sexes comme une invitation à la débauche et au plaisir charnel, « L’Église [a réduit] le sexe au pôle sensuel et érotique [et a permis] la naissance de la pornographie » par la même occasion.

A cela s’est peu à peu ajouté un superbe héritage de gloses misogynes : on a peur de la dépravation de la femme ainsi que de la tentation qu’elle peut induire sur l’homme. « Agent du diable » mais aussi « corruptrice » incapable de réfréner ses penchants naturels, on s’est mis à lui demander de se couvrir dans les églises et à renforcer les exaltations de sa virginité et sa chasteté. Si bien que, lorsqu’on refuse que le téton féminin soit traité au même titre que son homologue masculin, que l’on ne conçoit pas l’idée qu’une vulve puisse avoir sa place dans une église et que l’Origine du monde gêne, c’est dans la continuité de cette histoire que l’on s’inscrit.

Époque libérée ?

Alors qu’on pourrait croire que les choses ont toujours été ce qu’elles sont, ou bien que l’Histoire avance dans une dynamique de progrès, l’histoire de l’art nous révèle qu’il n’en est rien. Pendant que nos publicités et que nos films sexualisent et usent du corps nu à outrance, on continue de réduire ce dernier à l’érotisme et au pornographique. Le nu est sexué, sexuel et sexualisé. Et alors qu’on croit notre époque plus libérée, voici qu’elle s’ancre dans l’héritage d’une vieille morale et que ses débats ressemblent étrangement à ceux des siècles antérieurs…. Nous n’inventons rien, et les pénis-fruits des Montbaston, comme les fesses sculptées sur certaines façades, se chargent de nous le rappeler.

Ines Wicker

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