Médiaphi

Édito : « L’Humour »

Lors d’un banquet, un empereur, celui qui doit son nom à ses souliers, rit aux éclats. Qui ça ? Caligula. Pourquoi ? Pour le moment nul ne le sait, alors les consuls par compassion ou contagion joignent leurs rires au sien. Une fois la crise d’hystérie finie, il explique : « Je ris de penser que d’un geste de moi vous pouvez à l’instant tous êtres égorgés ! » Après ça, est-il encore permis de rire ? Le rire est-il responsable de l’humour qui l’a fait naître ? Non ; si on jugeait coupables tous les élèves qui furent un jour, dans un bureau de proviseur, incapables de retenir leur fou rire, souvent inexplicable, il n’y aurait plus assez d’innocents pour devenir proviseurs ! Dès que vous sentez le rire venir riez, riez à corps perdu, nous retrouverons pour vous ce qui l’a égaré, amené, obligé : l’humour.

Si le rire est un effet, l’humour en est la cause. Autodérision, comique de répétition, de geste, de caractère, humour absurde, noir, juif, calembours, peau de banane, ironie… la liste est longue mais courte notre langue. Comme les tonalités du rire sont multiples (Caligula ne rit pas de la même manière que ses invités ou que nous) les formes d’humour ont mille visages. Parce que nous n’avons pas mille et unes nuits, nous préférons soulever quelques problématiques auxquelles tenteront de répondre nos articles avec le sourire qui monte haut jusqu’à vos oreilles, comme celui du Joker, de l’Homme qui rit, et de Riquiqui.

Tristan Bernard (il n’a pas voulu écrire d’article, nous aurions bien voulu…) se demande : qu’est-ce qui manque un peu d’esprit et de répartie ? Et répond : l’écho. A sa suite, nous nous demandons : est-ce que cela manque de manquer d’esprit et de répartie ? Faut-il, à tout prix, être drôle ? Un homme un peu austère, La Rochefoucauld, assène sa réponse dans ses Maximes (1108) : « sans un grain de folie, il n’est point d’homme raisonnable ». S’il ne se trompe pas et que l’humour est nécessaire, une nouvelle question fait son entrée : comment être drôle ? Existe-t-il une gymnastique de l’humour ou suffit-il de vouloir être Tristan Bernard pour l’être ? Ou bien, est-ce une affaire de chance ? Certains sont Tristan, d’autres Tristes…

Si l’on parvient à être funny ce n’est pourtant pas fini ! Le nouveau point d’interrogation qui se dresse ne confronte plus le vizir à son désir mais le clown à son public : comment être drôle sans faire pleurer ? (j’espère que Caligula nous lit jusqu’ici) La moquerie est-elle légitime sous prétexte qu’elle crée plus de joie que de peine ? Le « peut-on rire de tout ? » est fameux. On lui répond souvent « oui mais pas avec n’importe qui ». Mais parce que personne ne désire être ce n’importe qui jugé fébrile et sans souplesse d’esprit, naît alors cette question embarrassante : doit-on se forcer à rire ? Sous prétexte que tout est dérisoire et absurde, dois-je rire de ceux qui souffrent sans jamais souffrir de ceux qui rient ? Si l’on doit s’obliger à rire c’est que l’on ne rit pas. Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’on ne rit pas toujours, et jamais de la même manière ? Qu’est-ce qui enfante le rire ? Cela ne suffit pas de répondre « l’humour » car aux yeux de Paul Valéry (Revue Aventure, nov. 1921) :

« Le mot humour est intraduisible. S’il ne l’était pas, les Français ne l’emploieraient pas. Mais ils l’emploient précisément à cause de l’indéterminé qu’ils y mettent, et qui en fait un mot très convenable à la dispute des goûts et des couleurs. Chaque proposition qui le contient en modifie le sens ; tellement que ce sens lui-même n’est rigoureusement que l’ensemble statistique de toutes les phrases qui le contiennent, et qui viendront à le contenir. »

Nous avons décidé de faire mentir Paul Valéry et Coluche : « Les étudiants sèchent, le linge aussi. » Ne pas sécher, proposer une traduction, faite d’interrogations, d’images, de citations, de facéties, de poèmes, d’art, de politique et surtout de philosophie, voilà le projet auquel s’attèle, drapé de sa toute nouvelle couverture et maquette dernier cri, le Médiaphi, chantonnant, en chœur, encore, les mots d’Alphonse Karr (Grains de bons sens) : « Le nombre d’écrivains ira toujours croissant car c’est le seul métier, avec l’art de gouverner, qu’on ose faire sans l’avoir appris ».

Célia Jaillet

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