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Exorciser Lyon III

Le mouvement contre la réforme des retraite a été d’ampleur historique. Ce mouvement n’a pas été sans répercussion sur la vie politique à l’université Jean Moulin. Lyon III a montré qu’elle n’était pas hors de la société et a aussi connu quelques instants historiques. Ces instants peuvent être replacés dans une histoire plus longue de l’université dont les récents sursauts politiques ont parfois fait ressortir les vieux monstres.

Vieux monstres

N’y allons pas par quatre chemins : depuis son fondement, l’université Lyon III a servi de bastion à l’extrême droite. Sa fondation en 1973 résulte d’une scission brutale avec Lyon II après 1968. Cette scission doit beaucoup à l’activisme de professeurs comme Jacques Goudet, membre du Service d’action civique (organisation soutenant l’action du général de Gaulle), et chargé de l’implantation de l’UNI (Union nationale interuniversitaire) à Lyon. Leur action s’est inscrite dans une stratégie générale de la droite radicale universitaire pour contrôler des lieux où les forces politiques pencheraient en sa faveur. Si la scission s’est aussi faite sur des raisons en apparence moins idéologiques comme le refus du déplacement des locaux hors centre-ville ou la peur des enseignants·es philosophes de perdre leur indépendance vis-à-vis de la psychologie, il reste que l’extrême droite a largement su tirer profit de cette rupture. C’est en effet au sein de Lyon III qu’un noyau universitaire d’extrême droite va pouvoir développer ses thèses, notamment au sein de l’IEIE (Institut d’études indo-européennes) fondé en 1981 et de la revue Études indo-européennes. Ainsi, comme le note le rapport Rousso rendu en 2004 au ministère de l’Education nationale, malgré l’apolitisme revendiqué, « Lyon III n’a pas été […] une université « apolitique » […]. Elle a été au contraire durablement marquée par ses origines, où l’idéologie a joué un rôle important, et par une tolérance très nette envers certains courants politiques de la droite radicale ou de l’extrême droite ». Cette tolérance à l’égard de l’extrême droite est suivie d’une défiance envers les associations étudiantes de gauche. Lorsque le rapport Rousso est rendu, l’UNEF pourtant syndicat majoritaire aux élections étudiantes n’a jamais obtenu de poste de vices-président·es. Le président de l’époque Henri Roland (clamant l’apolitisme de l’université), déclare lorsqu’on interroge que « le droit de proposition dont il est investi par les statuts de l’université [et par la loi de 1968] est discrétionnaire et qu’il n’a pas à répondre du choix qu’il soumet au conseil ».

Nouvelle soupe

Aujourd’hui l’extrême droite ne tient plus à Lyon III la place qu’elle a pu tenir par le passé. L’IEIE a été dissoute et l’extrême droite connaît une nette perte de vitesse. Malgré la présence d’étudiant·es et d’associations liés·es à l’extrême droite, l’actuelle vice-présidence étudiante est bel et bien issue de l’UNEF. Cependant, si à la vue des évolutions il peut être tentant de penser que le passé de Lyon III est loin derrière, cette conclusion serait inexacte. Lyon III a en effet conservé des réflexes droitiers. La mobilisation contre la réforme des retraites les a fait ressortir. Durant cette période, on a vu la sécurité de Lyon III mettre en place des contrôles à l’entrée de l’université flirtant avec l’illégalité à chaque rassemblement étudiant. Ces dispositifs de « sécurité » semblent encore relever de ce mode de gouvernance adopté « presque par réflexe, […] reflèt[ant] un souci constant de l’ordre », qui se traduit notamment par une méfiance à l’égard des organisations étudiantes qui ne suivent pas la politique des dirigeants » que déjà le rapport Rousso relevait. Cette défiance vis-à-vis de la mobilisation étudiante s’est aussi exprimée dans le communiqué de condamnation du blocage de la Manufacture des Tabacs du 28 mars 2023. Dans ce communiqué, le président M.Carpano occulte l’origine extrême-droitière des violences auxquelles les étudiant·es mobilisés ·es ont dû faire face. On voit dans cette réaction, une direction incapable de prendre ses responsabilités face à la violence d’extrême droite. Le refuge trouvé derrière une posture apolitique ne semble tirer aucun enseignement du passé et favorise un statu quo où les revivifications de l’extrême droite restent possibles.

Lors de la onzième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites, un autre blocage de la Manufacture a été voté. Cependant, informés·es de la menace d’attaques fascistes, les étudiant·es ont préféré éviter les affrontements violents et ont annulé l’action. Si le pire a donc été évité, les faits sont là : à Lyon III, en 2023, dans une période d’ébullition nationale durant laquelle chaque étudiant·e devrait pouvoir prendre part au moment politique, le déroulement « normal » des choses se poursuit. De fait, ce déroulement d’une vie universitaire hors-sol n’a pu persister en dernier ressort que par les méthodes violentes des milices fascistes. Milices fascistes qui, en prenant la pose devant la Manufacture, rappellent que, fut un temps, l’université a bien été leur bastion et que Lyon III n’a pas encore fini de sortir ses ordures.

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Un groupe fasciste pose devant Lyon III 06/04/2023

Exorcisme démocratique

Au sein de l’université les composantes d’extrême droite ont été marginalisées mais existent encore et jouissent d’une capacité de mobilisation qui reste possible en partie à cause d’une passivité entretenue sous prétexte d’apolitisme. Mais bien sûr, les événements récents sont plus que positifs : une large mobilisation étudiante à Lyon III a été démontrée possible. Cette mobilisation a fait naître l’embryon d’une véritable pratique démocratique au sein de l’université. Cette vitalité démocratique passe aussi par l’implication des étudiant·es dans la vie associative. Le réseau associatif permet de faire exister par le bas, le fondement d’une structure démocratique. Structure qu’il ne dépend que des étudiant·es de prendre en main. Il est souvent dit aux étudiant·es qu’iels sont la société de demain. Cette affirmation ne doit pas être le prétexte à un attentisme. En transformant leurs lieux d’études il revient aux étudiant·es d’incarner au présent comme iels l’entendent la société future.

Justin Nony

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