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L’Imaginaire,une sous-littérature ?

Se distinguer

Lorsqu’on parle d’imaginaire en littérature, nombreux sont celles et ceux ayant tendance à penser spontanément aux contes et autres histoires destinées aux enfants. En France, nous pouvons dire que la littérature se sépare en deux catégories distinctes : la blanche et la noire. La littérature blanche se caractérise par des œuvres dites classiques, répondant aux attentes d’une forme d’érudition et de sagesse que ne semble pas garantir son antipode, la littérature noire. Cette dernière se décline de la première de par son appartenance à l’imaginaire, regroupant ainsi la science-fiction, les polars, le fantastique ; plus généralement tout ce qui sort du réel auquel est rattachée la littérature blanche, celle-ci se voulant d’un niveau intellectuel supérieur à la noire. Un trop grand nombre d’écrivain et lecteurs français estiment encore aujourd’hui qu’il vaut mieux s’intéresser à la première catégorie qu’à la seconde, considérant la littérature de l’imaginaire comme un sous-genre, si on ose la comparer aux œuvres plus classiques dont ils sont si friands.

Méprise du mépris

Ce mépris de la littérature de l’imaginaire semble ne jamais tomber d’épuisement chez ses détracteurs. Il entraîne la hiérarchisation des genres littéraires, infantilisant les uns afin de mieux élever les autres. En tout temps, la littérature a connu bien des débats sur sa propre définition, de nombreux questionnements sur ses valeurs, et bien des affrontements entre ses différents mouvements. Ne serait-ce qu’à l’époque du réalisme, engendré dans les années 1850, s’opposant de front à un idéalisme romantique ayant tôt fait de s’en prendre à eux en retour. Les œuvres réalistes étaient vivement critiquées, parfois même censurées. Les romantiques pointaient du doigt une forme de dangerosité à représenter le réel tel qu’il était : c’est-à-dire laid plutôt que beau. Paradoxalement, ces écrits sont aujourd’hui qualifiés de « vraie » littérature. Lorsqu’une chose dérange, il semble alors évident qu’à défaut de la faire disparaître, il faille au moins la diminuer. C’est entre autre un exemple qui pourrait faire écho à la situation de l’imaginaire en France. Une littérature qui semble n’être destinée qu’aux imbéciles, aux enfants ; un lectorat qui serait incapable de suivre les brillantes paroles de grands noms de la littérature blanche, dite aussi « générale ».

La singularisation contre la distinction

Et s’il n’en était rien ? Que possède la littérature noire qui fait défaut à la blanche ? On ne peut redorer un blason en s’en prenant à un autre. Les nombreux côtés de la littérature ont tous en leur sein des spécificités les rendant uniques et attrayants. Parlons donc de ceux de l’imaginaire. Vous en connaissez sans doute de grands noms tels que Game of Thrones de George R. R. Martin ou encore Le Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien. Sachez qu’il existe une infinité d’autres univers tels que ceux-ci. Le monde de l’imaginaire regorge d’intrigues narratives toutes plus brillantes et trépidantes les unes que les autres. Les auteur sont capables d’engendrer de nombreux personnages profonds et intéressants (explorant tantôt les niveaux les plus sombres ou les plus lumineux de la psychologie humaine), de construire des univers complets et originaux, d’établir divers gouvernements et intrigues politiques, et même de créer leurs propres langues ! Il s’agit d’un travail démentiel de l’esprit. Créer à partir de rien, s’inspirer de près ou de loin de notre monde afin d’en élaborer un nouveau, et s’arranger pour que chaque pièce de ce grand puzzle interne prenne forme afin d’engendrer la plus épatante des histoires. De plus, créer un univers fictif est une chose, mais l’exploiter intelligemment dans une intrigue en est encore une autre. Un.e auteur.ice de littérature imaginaire est à la fois concepteur. rice et narrateur.rice, iel doit lier la richesse de sa création à l’intelligence d’une bonne aventure. Ce sont deux travaux très différents, qui réclament tous deux du temps, de la précision et beaucoup de logique.

Un imaginaire qui intervient dans son actualité

L’imaginaire n’est d’ailleurs pas seulement une histoire vouée à divertir, car elle peut également être un outil de dénonciation. Bien des auteur.ices se servent de leurs œuvres pour dénoncer des discriminations, ou encore le fonctionnement de certains systèmes politiques. La saga dystopique Red Queen, de l’autrice américaine Victoria Aveyard, l’illustre parfaitement. Dans cette série, nous nous plongeons dans un univers dystopique se déroulant dans le futur. Une partie de la population est désormais pourvue de pouvoirs spéciaux et d’un sang argenté. L’entièreté de l’humanité se découpe donc en deux « espèces » : les Rouges et les Argents. Avec le temps, il fut établi que les Argents étaient naturellement supérieurs aux Rouges, et que ces derniers devaient n’être rien de plus que des insectes, des créatures desquelles ils pouvaient disposer. Toute l’intrigue nous baigne dans des conflits politiques, des révolutions, une guerre civile, une lutte pour la justice et la liberté d’un peuple, dénonçant des discriminations comme le racisme ou le mépris de classes sociales. Nous entamons cette aventure à travers les yeux d’une héroïne de 17 ans dont nous suivons également l’évolution personnelle, et pas seulement celle du monde autour d’elle. Les personnages ne sont pas esclaves d’une intrigue, ils sont l’intrigue ! Elle peut se ressentir ici, la beauté de l’imaginaire. L’intelligence de son développement narratif n’a jamais rien eu, et n’aura jamais rien à envier à la littérature plus classique. Il s’agit d’une autre manière de présenter et de repenser le monde à travers des plumes variées, des univers multiples, et une inépuisable source de créativité.

Un autre exemple chez l’auteur américain Soman Chainani, qui s’est lui aussi trouvé une place de choix dans la richesse de ces univers. D’une plume plus implicite et presque opposée à notre exemple précédent, il s’est plu à découper les stéréotypes des contes de fées pour en faire tout un monde unifiant parfaitement son imagination et ses histoires favorites étant enfant. Sa saga l’École du Bien et du Mal est un exemple de ces livres dont on peut tant questionner le fond que la forme. Prévue à l’origine pour un public plutôt jeune, elle n’en reste pas moins intéressante à étudier plus en détails une fois adulte. En nous concentrant justement sur le bien et le mal, on peut être amené à en redéfinir les termes, en questionner la substance, se demander ce qu’il convient de qualifier de bien ou de mal. Cette série met en scène diverses formes d’antagonismes, par exemple entre la vérité et le mensonge, ou même un affrontement entre les genres. Ces oppositions ont beau trouver tant leur source que leur résolution au cœur de l’intrigue, quelques questionnements subsistent encore au-delà du mot « Fin ». Les thèses des auteur. ices ne sont pas forcément vouées à être explicitées, après tout. Il n’en tient qu’à nous de les repérer ou de les ignorer. La philosophie de chacun peut se lire sur et entre les lignes.

« L’imagination continuera d’être, d’ici longtemps, la plus puissante réalité qu’il y ait dans la vie des hommes. »

Jules Barbey d’Aurevilly dans l’Ensorcelée

Un horizon libéré

La littérature de l’imaginaire n’a pas à vivre dans l’ombre de la blanche, mise en avant comme étant plus intellectuelle ou plus adulte. Chacune peut être intéressante à découvrir, chacune possède sa manière de lier son fond et sa forme. Un genre ne devrait pas avoir d’ascendant quelconque sur un autre. Les lecteur. ices de l’imaginaire n’en sont pas moins des lecteur.ices que ceux de la littérature plus classique, et il en va de même pour les auteur.ices. Nous vivons dans un monde où il est possible de donner la forme que nous voulons à nos œuvres, et de pouvoir accéder à des récits travaillés tant pour être divertissants que profonds et engagés. Il ne tient qu’à nous d’embrasser toute la diversité de la littérature, de profiter de tous les horizons qu’elle a à nous offrir et de cesser cette sempiternelles hiérarchisation des genres.

RJ

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