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Les Terrains d’aventure : une expérience du droit à la ville ?

Une très intéressante demi-journée d’étude sur les terrains d’aventure s’est tenue à l’ENS Lettres de Lyon le 7 juillet 2021. Organisée par Gilles Raveneau, professeur d’anthropologie  à Lyon-2 et Clothilde Roullier, archiviste aux Archives nationales, avec le soutien du  Laboratoire de l’Éducation, elle a permis d’appréhender ce dispositif dont l’un des objectifs  premiers est de développer la place des enfants dans les villes.

État des lieux : Copenhague, Genève, Lyon 

Qu’est-ce qu’un terrain d’aventure ? C’est un lieu non construit, un terrain vague organisé  pour des enfants et des adolescents où ils peuvent construire des cabanes, aménager des  aires de jeux, etc. En 1943, le premier terrain est créé par le paysagiste Carl Theodor  Sørensen, dans la banlieue de Copenhague. Un deuxième terrain apparaît à Londres en  1948, puis un troisième aux États-Unis, à Minneapolis, en 19491. Le concept se développe ensuite dans ces mêmes pays et essentiellement en Allemagne, en Suisse et en Europe du Nord. En France, il faut attendre 1971 pour voir s’ouvrir le premier terrain d’aventure, où  l’idée séduira et essaimera de plus en plus, jusqu’au milieu des années 1980, puis la mode  passera.  

Ces terrains ne sont pas de simples espaces pour les jeunes. Ils posent la question de la place  des enfants en ville et proposent une solution en leur donnant un espace de liberté, en leur  apprenant l’autonomie et la possibilité d’agir collectivement. Des règles sont décidées,  écrites sur des panneaux ou les murs des cabanes. Des adultes, parents bénévoles ou  éducateurs salariés de la mairie, sont présents pour proposer aux jeunes un cadre propice à  leur émancipation en tant que citoyens. En effet, le terrain d’aventure est une expérience de  démocratie participative. 

Le marxiste Henri Lefebvre est souvent évoqué comme le philosophe permettant de penser  la ville comme un espace de co-construction et non seulement conçu et façonné par les  architectes ou les urbanistes. Dans son livre au titre évocateur, Le Droit à la ville, Lefebvre considère que l’espace urbain relève de dynamiques sociales. Le matériel et le relationnel  interagissent grâce à l’intelligence collective et pour le bien de chacun. 

Le collectif de chercheurs investi dans le projet TAPLA (Terrain d’Aventure du Passé/Pour  l’Avenir), soutenu par le Labex Les passés dans le présent de l’université Paris-Nanterre, vise  à retracer l’histoire des terrains d’aventure, à médiatiser les terrains actuellement actifs et leurs évolutions et, dans une perspective de recherche-action, à promouvoir le concept pour  faciliter et porter les créations contemporaines. L’urbanisme, l’architecture, le paysage, la géographie, l’anthropologie, la sociologie, les sciences de l’éducation… autant de disciplines  qui ont leur mot à dire sur les terrains d’aventure et qui, en retour, sont nourries par les  expériences nouvelles.

Dans son allocution, C. Roullier fait état de ses recherches aux archives départementales et municipales de Lyon sur les terrains d’aventure lyonnais. Le premier date de la fin des années  1970 ; quatre semblent ensuite actifs. Globalement, peu de documents officiels rendent compte de leur existence. Un seul de façon certaine, celui ouvert à l’initiative du centre social des États-Unis, localisé au n° 53 de l’avenue Francis de Pressensé, dans le  8e arrondissement, où, de nos jours, se trouve un jardin partagé. Une brochure de juillet 1978, produite par le centre social2, permet de suivre la mise en œuvre du terrain dans le quartier. Elle contient notamment des plans avec les différents espaces (tas de planches, camion, etc.) et les principes du lieu.

L’intervention de N. Monnet, maître de conférence en sciences humaines et sociales à  l’ENSA de Marseille, fait l’historique des terrains d’aventure à Genève. Appelés « jardins  Robinson », ils font partie du développement municipal de l’animation socio-culturelle dans  les quartiers populaires de la périphérie de Genève. L’objectif était de sortir les jeunes de la rue et de les socialiser à l’aide d’activités manuelles. Il n’y a pas d’inscription, l’objectif des  adultes encadrants est de faire avec. Une charte rappelle les principes : collaboration, responsabilisation, autonomie, confiance. La qualité de la présence est plus importante que  la quantité et l’efficacité des activités proposées.

Perspectives des terrains d’aventure 

Jouer et construire, détruire et imaginer, se projeter et matérialiser ses rêves avec l’Autre, au contact de l’adulte encadrant, tels sont les impensés à la source des terrains  d’aventure. Avec quels rêves les adultes, proposant aux enfants des terrains d’aventures, veulent-ils renouer ? Les intentions des uns peuvent-elles s’accorder avec les rêves des autres ? Ce dialogue entre les générations semble aussi le terrain d’expérimentation des terrains d’aventure. 

Un échange final entre chercheurs et participants a amené la discussion autour de la notion  de risque. Des « permis » sont ainsi mis en place (permis de scier, permis de marteau, etc.) pour à la fois former les enfants, montrer l’anticipation des animateurs sur les risques  éventuels, rassurer les parents et les autorités institutionnelles souvent parties prenantes des projets. 

La question du feu est au cœur de cette préoccupation. Aujourd’hui interdit en France,  l’usage du feu est une étape dans ce qui peut être fait et défait sur un terrain d’aventure. En effet, la construction de cabanes, objectif important, ne peut être le seul. L’utilisation d’un lieu aux constructions éphémères participe justement d’un usage des choses s’inscrivant dans une temporalité : projection, réalisation, usage, etc. Le passage du temps, avec les  désirs et leurs objets, peut aboutir à une nécessaire phase de destruction qui, décidée collectivement, permet le renouvellement des projets. Le feu incarne cette possibilité.  Matériel et symbolique, il permet de détruire pour repartir sur de nouvelles idées : il est le moyen du potlatch (destruction rituelle de richesses, cf Mauss), la stase étant l’écueil de tout lieu vivant. 

Enfin, une évocation du zadisme offre une lecture plus politique des terrains d’aventure si l’on considère que leur naissance est liée au délaissement urbain et au souci d’un usage différent de l’espace collectif. De plus, nos préoccupations environnementales actuelles pourraient faire évoluer les terrains d’aventure vers des lieux de préservation, en ville, de notre patrimoine végétal et animal. 

Les organisateurs de cette demi-journée d’étude lancent un appel à témoignages. Si vous avez participé à Lyon, enfant, à un terrain d’aventure, ou si vous avez été animateur d’un de ces terrains, prenez contact avec l’équipe.3  

Vous souhaitez être formé à l’encadrement d’un terrain d’aventure ? Vous souhaitez en  créer un dans un terrain vague de votre quartier ? Le Parc Sergent Blandan, dans le 7e arrondissement, contient une parcelle pour l’instant inoccupée. La création d’un terrain  d’aventure à cet endroit permettrait d’ouvrir l’offre de service, déjà riche (skatepark,  terrains de foot et de basket…), de ce Parc et d’y impliquer plus fortement les enfants du  quartier… 

Vincent COURTOIS

 

1-Pour une approche internationale du sujet, voir le workshop organisé en collaboration avec l’université de Chicago à Paris https://tapla.hypotheses.org/285

2 -Archives de Lyon, 2069WP102.  

3- gilles.raveneau@univ-lyon2.fr et clothilde.roullier@culture.gouv.fr

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