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Pour une ville bienveillante et accueillante aussi pour les animaux

La ville a été pensée et construite par et pour des humains. À quelques exceptions près, la ville exclut par définition les animaux non-humains. Nous aurions pu consacrer notre propos aux animaux de compagnie, que notre société dit aimer (chiens principalement), pourtant exclus des parcs (ou contraints par la laisse) et carrément interdits d’entrer dans de nombreux lieux publics, sous prétexte d’hygiène. Nous avons choisi de consacrer cette contribution à ceux que nous excluons systématiquement alors même que de fait, ils sont nos voisins : les animaux liminaires.

Qui sont les animaux liminaires

Les animaux liminaires (du latin limen : le seuil) sont ces « milliards d’animaux opportunistes qui profitent du développement humain et prospèrent en symbiose avec celui-ci ».1 La classification actuelle est binaire « animaux domestiques » vs «animaux sauvages » : ceux que nous possédons, dont nous sommes propriétaires (chats, vaches, lapins, poules, poissons rouges, chevaux…) ; et ceux qui sont « loin » de nous dans la « nature », que nous ne côtoyons pas ou peu (sangliers, blaireaux, canards…). Pourtant, certains ne sont ni domestiqués, ni éloignés de nos habitats. S. Donaldson et W. Kymlicka les nomment « liminaires ».

La catégorie des animaux liminaires rassemble des espèces d’animaux différentes : rats, lapins, corneilles, hérissons, cygnes, canards, poissons, fouines, moineaux…. Leur seul point commun, que l’association PAZ considère comme fondamental car structurant, est de vivre en liberté dans l’espace urbain. Les animaux liminaires subissent par définition la construction humaine qu’est la ville. Dans la conception même de cette dernière, les animaux en sont exclus. Celles et ceux qui font la ville ne prennent pas au sérieux l’intégration bienveillante des animaux.

Comme on peut le remarquer, c’est la naissance (et non l’espèce) qui définit la catégorie à laquelle chaque animal appartient. Un lapin peut être né dans un élevage pour être vendu dans une animalerie, il est donc considéré comme « domestique ». On peut imaginer qu’il soit ensuite abandonné dans une forêt, il devient « sauvage » puis, se rapprochant de la ville, il devient « liminaire ». Soulignons que quelle que soit la catégorie dans laquelle est un animal, il n’en demeure pas moins dominé par les humains. Nous nous réservons le droit de vie (élevage : planification des naissances) et de mort (chasse, pêche, abattoir, empoisonnement…). Par définition, notre société considère que les animaux liminaires ne sont pas à leur place. Et c’est bien la raison pour laquelle nous les tuons massivement.

Le poids des mots : la façon dont on parle des animaux liminaires…

Tous les jours, certains animaux – parce qu’ils sont des animaux liminaires – sont tués de manière systématique et dans un silence assourdissant, sans le moindre débat. On tue les animaux liminaires car ils sont liminaires. Ce mot est indispensable parce qu’il nomme des animaux que nous voulons exclure, rendre invisibles et donc faire disparaître. L’adjectif liminaire, qui qualifie tous les animaux en liberté dans l’espace urbain, est politique. Rendre visibles les intérêts des animaux des villes : cela commence par les dictionnaires. Notre association PAZ a demandé à l’Académie française, ainsi qu’aux dictionnaires de langue française, l’ajout d’une entrée supplémentaire à l’adjectif « liminaire » lorsqu’il est appliqué aux animaux.

Ensuite, il y a la façon dont notre société parle des animaux liminaires. De temps en temps, ces derniers font irruption dans l’actualité locale. La façon dont on les évoque dans la presse est très révélatrice de la manière dont ils sont considérés par notre société. À Lyon, l’adjoint au Maire délégué à la condition animale utilise le terme « mémé à pigeons » dans Rue892 , pour critiquer les personnes qui soutiennent un refuge où l’on soigne, entre autres, ces animaux. Le rôle de l’association PAZ est de bousculer ce carcan lexical et de contribuer à changer ce discours écrit à l’avance : « prolifération », « nuisible », « saleté », « maladies », « épidémies », « dégradations », « nuisances »… Nous ne disons pas que ce vocabulaire est factuellement faux. Mais il véhicule une image partiale car très partielle et toujours négative des animaux liminaires. Ce champ lexical façonne notre pensée de façon biaisée et incomplète. Quasiment tous les animaux sont susceptibles de transmettre des maladies ; pourtant, dans nos discours, cela n’est évoqué que dans certains contextes très spécifiques. Ce vocabulaire occulte une donnée scientifique essentielle : les animaux liminaires sont doués de sensibilité.

… qui détermine comment notre société les traite

Les institutions refusent de réfléchir sérieusement aux intérêts des animaux liminaires. D’un côté, elles planifient rigoureusement leur mise à mort et ses modalités, en particulier pour les rats, les lapins, les sangliers, les pigeons ramiers ou bisets… De l’autre, elles aménagent l’espace urbain sans se préoccuper des besoins des animaux qui y vivent. À première vue, nous pourrions penser qu’il s’agit de « laisser faire » puisque pour beaucoup d’élu-es, les animaux liminaires sont des animaux sauvages qui sont autonomes et doivent se débrouiller seuls, car ils pourraient devenir dépendants des humains. Nous nous opposons à cette vision à la fois facile et simpliste. Il s’agit d’une illusion. Les interventions permanentes sur l’espace urbain sont de plusieurs ordres : on tue certains animaux, on en introduit d’autres quand on considère qu’il n’y en a pas assez ; par ailleurs, la façon dont on aménage la ville a un impact direct sur les animaux. Ils ne peuvent pas être autonomes (à nuancer en fonction des espèces). Comment pourraient-ils l’être alors que pour certaines espèces, nous avons détruit leur habitat pour construire et aménager la ville ?

Par exemple, quand on décide de tondre la pelouse dans les parcs et jardins, on détruit des habitats. Quand on décide de planter des fleurs, on choisit pour des raisons esthétiques et anthropocentriques de ne pas planter d’espèces végétales qui pourraient nourrir les animaux. Même les espèces protégées comme les moineaux luttent pour survivre dans un espace urbain inhospitalier en termes d’habitat et de nourriture. Par exemple, les cygnes ont à la fois besoin de certaines plantes attenantes à leur plan d’eau et de place sur la terre, pour construire leur nid. Dans certains endroits, ces deux conditions ne sont pas réunies et rien n’est mis en place pour y remédier.

Le « vivre ensemble » : une question politique, aussi pour les animaux

Le quotidien des animaux liminaires se résume bien souvent à la survie. L’améliorer concrètement et significativement constitue une urgence. L’état des connaissances scientifiques sur la sentience des animaux nous rappelle avec force qu’une cohabitation pacifique, donc sans méthode létale, est un impératif éthique. Car les animaux sont des êtres sensibles qui ont une conscience et ressentent des émotions. En d’autres termes, comme le montre la philosophe Florence Burgat en s’appuyant sur la phénoménologie dans ses travaux : « les animaux vivent leur vie à la première personne. »3

L’enjeu central est une cohabitation pacifique. PAZ appelle de nos vœux un changement radical de notre conception des animaux liminaires, afin de les inclure dans la ville, c’est-à-dire les accueillir avec bienveillance. Qui n’a jamais eu de problèmes avec ses voisins ? Pourtant, rares sont les personnes qui les empoisonnent. Les animaux liminaires sont nos voisins, c’est un fait, même si nous le nions. Nous nous devons d’organiser et de structurer ce voisinage. L’objectif est double : que les humains ne soient pas dérangés dans leur quotidien et que les animaux liminaires fassent leur vie tranquillement, sans être systématiquement rejetés ou tués. Même pour les espèces animales liminaires qui ne sont pas tuées, la vie urbaine est dure. C’est au droit d’encadrer nos relations avec les animaux liminaires. La mise en place d’un statut juridique spécifique pour les animaux liminaires apparaît indispensable pour PAZ.

Les méthodes contraceptives

Il est nécessaire d’engager une véritable réflexion sur les méthodes non létales permettant notamment de limiter la reproduction de certaines espèces animales qui, au cas par cas, peuvent nous déranger (rats, souris, pigeons, chats errants…). Il ne s’agit pas de limiter la reproduction des animaux liminaires de manière systématique, mais de mettre en place des indicateurs et des outils pour intervenir sur la reproduction au cas par cas. Les méthodes contraceptives peuvent être chirurgicales (comme cela se pratique déjà pour les chats errants) ou par voie orale (par exemple pour les pigeons via le nourrissage). Ces méthodes doivent être déployées sans que soient perdus de vue les intérêts des animaux (absence de souffrance).

“[Les animaux liminaires] n’ont pas la possibilité (en tant qu’individus) de retourner vivre dans la nature sauvage, ils font donc partie de nos sociétés et nous ne pouvons pas légitimement les en exclure.”

S.Donaldson et W.Kymlicka, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, Alma éditeur, p.320 (2016)

L’habitat

Des scientifiques du CNRS4 ont démontré que les oiseaux des villes sont particulièrement stressés : lumière la nuit, bruit incessant, manque de nourriture adaptée, pollutions… La question du partage des terres et des ressources est largement posée dans notre relation aux animaux, puisque les humains ont tout accaparé. Cette question du partage et donc du vivre-ensemble est particulièrement prégnante pour les animaux liminaires. Nous devons leur faire de la place. Pour cela, PAZ propose de sanctuariser certains espaces urbains. Par exemple, fermer au grand public des presqu’îles dans des espaces verts pour créer une zone refuge pour les animaux, interdire la chasse et la pêche dans des lacs, ne pas autoriser d’engins motorisés…

L’alimentation

De fait, nous partageons l’espace urbain avec les animaux liminaires : il serait temps de l’admettre et l’accepter. Il importe, pour eux comme pour nous, qu’ils soient en bonne santé. Cela passe par une alimentation adaptée et équilibrée5. Pourtant, en France, le nourrissage des animaux liminaires est interdit à travers les Règlements Sanitaires Départementaux. Nourrir les animaux liminaires, lorsque cela est nécessaire, avec une alimentation adaptée, contribue à leur santé et donc à la santé globale. Le discours anti-nourrissage tenu par les institutions provoque chez certains citadins bien intentionnés une réaction de résistance ; ils se disent à juste titre que les animaux liminaires ont faim. Certains, mal informés, les nourrissent de manière inadaptée (pain, chips…). Nous constatons que les animaux liminaires herbivores manquent souvent de plantes adaptées à leurs besoins (pour s’alimenter ou construire leur nid).

La bataille culturelle, un enjeu fondamental

La culture façonne notre pensée concernant les animaux liminaires et, par conséquent, la façon dont nous les traitons. La culture peut aussi permettre de changer radicalement nos représentations. N’est-il pas, d’ailleurs, un levier aussi puissant que durable ? En voici quelques exemples qui, à contre-courant de la norme, démontrent que les œuvres culturelles peuvent nourrir nos représentations, en incluant les animaux liminaires dans notre cercle de considération. Ainsi, le film d’animation Ratatouille (2007) des studios Pixar a choisi deux éléments, a priori incompatibles, pour rendre hommage à la capitale française : la gastronomie et les rats. Le personnage principal Rémy est un rat, intelligent, attachant et drôle. Ce film contribue à montrer qu’il suffit de peu pour changer de regard. Par ailleurs, dans son essai jeunesse Paix à la petite souris, Théodore Monod s’interroge : « Va t-il falloir envisager un traité en bonne et due forme entre l’humain et l’espèce souris ? ». En parlant de paix, il sous-entend que les humains font la guerre aux souris, en les empoisonnant massivement. Enfin, troisième et dernier exemple, le 25 février 2022, le documentaire La panthère des neiges de Marie Amiguet et Vincent Munier a reçu le César dans la catégorie du meilleur documentaire. Lors de la cérémonie, Vincent Munier a déclaré : « Il y a d’autres espèces animales, dont on fait partie. (…) Ce que les animaux veulent, c’est qu’on leur laisse un peu de place. » Vincent Munier souligne que les humains sont aussi des animaux, il parle de la volonté des animaux non-humains et enfin, il évoque explicitement le partage de l’espace. Même s’il fait référence aux animaux sauvages, ce discours s’applique complètement aux animaux liminaires.

La recherche académique, qui est également une composante de la culture, permettra de remettre de la vérité dans cette foire aux rumeurs et aux peurs irrationnelles. Elle apportera aussi de multiples pistes sérieuses pour mettre en œuvre une cohabitation pacifique. PAZ pense que la biologie, l’éthologie (l’étude du comportement des animaux en liberté), l’urbanisme, l’architecture… joueront un rôle majeur dans la prise en considération des animaux liminaires.

La culture, c’est aussi les médias. Faire couler de l’encre nourrie d’un champ lexical à la fois factuel et bienveillant est un axe fort de notre stratégie pour gagner cette bataille culturelle. Le 13/02/2022, L’Obs6 publiait une tribune signée par 41 élu-es municipaux à la condition animale, que PAZ a initiée. Des élu-es locaux, en première ligne sur cette question, se sont rassemblé-es pour affirmer que « Il est temps de ne plus céder à la facilité qui consiste à se débarrasser des animaux dès lors qu’ils nous dérangent. Il est indispensable de se pencher sur des méthodes non létales, très peu étudiées (…). »

Le temps où aucune remise en cause ne se faisait entendre, concernant ce qu’on se permet de faire subir aux animaux liminaires, est révolu. Par nos manifestations, nos tribunes, nos tracts, nos interpellations des élu-es municipaux, l’utilisation d’un vocabulaire adapté, la mise en avant de certaines œuvres culturelles, nous tentons de provoquer un changement de regard sur les animaux liminaires. L’objectif est de les rendre visibles, de les accepter et donc de les inclure dans la ville. Pour qu’un jour enfin, notre société considère qu’il est normal et légitime de partager l’espace urbain avec des animaux qui ne nous appartiennent pas, et qui font tranquillement leur vie. Ce jour-là, notre société considérera les animaux liminaires comme des voisins et ils seront pleinement inclus dans la politique de la ville.

Amandine Sanvisens,
co-fondatrice de l’association PAZ

  1. S. Donaldson et W. Kymlicka, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, Alma éditeur, 2016, p. 20

2. Les pigeons à Lyon : « artificiels et inutiles pour la biodiversité », rue89lyon (2021)

3. Florence Burgat, Une autre existence. La condition animale, Paris, Albin Michel, « Bibliothèque Idées », 2012, p. 243-253 et p. 341-347.

4. «Oiseaux des villes, oiseaux stressés», CNRS, Le Monde, (15/10/2021)

5. Position de PAZ sur le nourrissage : zoopolis.fr

6. « Candidats à la présidentielle, n’oubliez pas les animaux qui peuplent nos villes ! », L’Obs (2022)

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