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La déraison de la peur de la folie

La particularité d’une oppression est que la plupart du temps, nous ne la remarquons pas vraiment si nous ne sommes pas directement concernés. Même lorsque c’est le cas, certaines oppressions sont si répandues et si peu nommées que  les concernés même peuvent ne pas en prendre conscience. C’est le cas du validisme. Celui-ci désigne l’ensemble des comportements discriminatoires que peuvent subir des personnes ayant un handicap.  Il repose sur une discrimination systémique, c’est à dire inscrite dans l’ensemble de l’organsation sociale et à toute les échelles,  des personnes qui ne rentrent pas dans le cadre d’une normalité “saine”.  La psychophobie est une forme spécifique de validisme, qui concerne les personnes handicapées mentales,  neuroatypiques (Trouble du Spectre Autistique) ou psychoatypiques (bipolaires, schizophrènes…).

De la peur de la folie

En France, le terme est si peu utilisé et dépolitisé que l’ancienne secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel, avait dit ne pas connaître ce terme, pensant qu’il opposait les gens entre eux. Mais plutôt que d’opposer, il a été pour beaucoup l’occasion de se regrouper autour de la prise de conscience d’une oppression commune. De nombreuses associations et militants font en sorte de sensibiliser à ces notions, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue.

La psychophobie d’Etat


La convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU datant de 2021 a mis en avant différentes failles de la législation française. Non seulement la législation ne reconnaît pas explicitement les discriminations relevant des handicaps, mais elle est elle-même discriminante. Elle nie le principe de consentement et d’autonomie notamment lors de traitements médicamenteux et d’hospitalisations forcées non soumises à un contrôle judiciaire, entraînant des risques de sur-médication. 

Sur le respect de la vie privée, le comité de l’ONU avait demandé l’abrogation du décret du 23 Mai 2018 concernant la base de données Hopsyweb. Celle-ci collectait les données des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques, sans leur consentement, puis les mettait en lien avec le fichier des personnes surveillées pour radicalisation terroriste.  La publication du décret a suscité de nombreuses inquiétudes, considérée comme une grave atteinte à la vie privée et aux droits des patients. La sénatrice Pascale Gruny avait réagit à ce texte en demandant l’anonymisation des données  : “En nourrissant les amalgames entre maladie psychique et terrorisme, ce décret met en péril le secret médical et le processus de soins”.  Certaines mesures de lutte contre le terrorisme perpétuent ainsi les stéréotypes néfastes selon lesquels les personnes ayant un handicap psychique sont  malveillantes, dangereuses et davantage susceptibles de se radicaliser ou de basculer dans le terrorisme. 

Cet amalgame omniprésent qui fait le lien entre maladie mentale et violence est loin d’être en phase avec la réalité.  Un  rapport de la haute autorité de santé datant de 2011 a enquêté sur les violences commises par les personnes ayant des troubles schizophréniques ou de l’humeur. La conclusion de ce rapport explique que “l’agressivité représente l’exception et non la règle dans la présentation clinique. Depuis les années 1990, des études méthodologiquement rigoureuses auraient dû permettre d’apporter un éclairage serein et réaliste sur les liens réels entre maladie mentale et violence. La vérité documentée est que la très grande majorité des comportements violents sont le fait de sujets indemnes de troubles mentaux graves”. Le rapport conclut sur le fait que, contrairement aux clichés, les personnes atteintes de troubles psychiques sont en fait bien plus victimes de violences qu’elles n’en commettent. Pourtant, nos inconscients collectifs sont marqués par des représentations psychophobes qui nous poussent à faire des raccourcis destructeurs. 

Comment la psychophobie médiatique influence nos représentations

La perpétuation des stéréotypes négatifs liant problèmes de santé mentale et violence est accentuée par les titres médiatiques. Alors que c’est surtout la mauvaise prise en charge des personnes ayant un trouble psychique qui mène à la violence, notamment à l’auto-violence. Cette mauvaise prise en charge se retrouve dans les chiffres :  8000 à 9000 suicides par an toutes pathologies confondues et un taux de mortalité 1,6 à 3 fois plus élevé que pour le reste de la population, l’espérance de vie des personnes souffrant d’un trouble psychique est diminuée de 20 % par rapport à la population générale. Le problème est que le grand public a finalement peu d’informations sur les maladies mentales. Lorsqu’on en parle c’est souvent pour évoquer des faits divers violents afin de les justifier. Le diagnostic psychiatrique est constamment évoqué dans les grands titres pour faire de l’audimat,  comme l’analyse Henri Dorvi de l’université de Montréal  dans une étude de 2007 traitant des discriminations liées à la recherche d’emploi et de logement  :” Il y a des intérêts financiers qui orientent la rédaction des faits divers. La désinformation que s’autorisent les médias grand public est conditionnée par l’audimat. Ces médias ont intérêt à laisser croire que les personnes dangereuses pour autrui sont aussi les plus radicalement différentes de la majorité(..) Les fous deviennent la proie des médias de masse qui modulent insidieusement la réalité de manière à minimiser le risque d’identification du consommateur au meurtrier. Ce moyen subtil d’affirmer : « le danger est dans l’autre et pas chez toi » obéit à une logique de déresponsabilisation qui a des effets très concrets sur les attitudes et croyances des populations. Nos études ont montré que les collectivités se disent généralement en faveur du retour des patients psychiatriques dans la communauté, alors qu’une minorité accepterait d’avoir des ex-patients psychiatriques dans son voisinage.”  Que l’on parle d’agression sexuelle, de crime de guerre, d’homicide ou d’attentat, les personnes commettant un acte violent sont constamment pathologisées, créant des amalgames irréalistes et des discriminations concrètes dans la vie des concernés.

Ambre G Klein

La surmédiatisation du procès intenté par Johnny Depp à son ex femme Amber Heard pour diffamation est un exemple prégnant de psychophobie médiatique. L’une des manières de décrédibiliser Heard, aura été pour les avocats de Depp de faire appel à une psychologue. Celle-ci l’a diagnostiquée, en seulement quelques heures, d’un trouble de la personnalité borderline, déclarant que ” le trouble de la personnalité borderline représente une personnalité instable, de cruauté envers les personnes moins puissantes,(…) Quiconque tente une relation intime avec une telle personnalité, passerait probablement de l’idolâtré à la benne à ordure(…) Le trouble de la personnalité borderline semble être un facteur prédictif pour les femmes qui pratiquent la violence envers leur partenaire”. L’impulsivité et les problèmes interpersonnels sont bien des symptômes de ce trouble. Mais pour être diagnostiqué, il faut avoir 5 symptômes minimum sur les 9 listés dans le DSM-5(manuel de psychiatrie américain de référence classant les troubles mentaux), il existe ainsi 256 combinaisons possibles, et autant de manière possible de le vivre qu’il existe d’individus. Il n’y a pas besoin d’être borderline pour avoir recours à la violence, les comportements violents et impulsifs sont loin d’être réservés aux personnes avec un problème psychique. Pourtant, les médias psychiatrisent en permanence les comportements violents  pour les expliquer, sans aucune rigueur scientifique. Le média américain THE SPILL analyse les doubles standards du procès : “L’un des plus gros problèmes de ce procès est la dichotomie entre la victime et l’agresseur, le bon et le mauvais. Lorsqu’un traumatisme existe des deux côtés, il est possible que le couple soit mutuellement violent et co-dépendant, et qu’aucune de leurs histoires ne soit entièrement représentative. Historiquement, le système judiciaire a été truqué contre les personnes neurodivergentes, qui sont institutionnalisées de manière disproportionnée, enfermées dans des prisons ou des services psychiatriques.”

 Notre imaginaire collectif  associe presque toujours  l’horreur avec la psychiatrie. Depuis Le Silence des Agneaux en passant par le récent Split, les  films d’horreurs alimentent le  mythe de la dangerosité de la maladie mentale. Bien que nous ayons conscience que les fictions ne sont pas la réalité, nous finissons toujours par intérioriser les stéréotypes dépeints. C’est le cas du vidéaste Squeezie, qui s’est notamment fait connaître pour ses commentaires de jeux vidéo d’horreurs. Il a été au cœur d’une polémique lorsqu’il expliquait en Avril 2021 que rien ne lui faisait plus peur que les maladies psychiques. Mais il est ensuite revenu sur ses propos, expliquant que cette peur était irrationnelle et liée à un manque d’information sur le sujet. C’est bien plus cette peur, ce manque de connaissance qui peut induire des comportements dangereux et nous empêcher de  bien réagir face à quelqu’un ayant une maladie psychique.  L’impulsivité, si souvent associée à la violence, est une réalité dans de nombreux troubles. Mais le plus dangereux reste le fait que l’on soit peu sensibilisé aux crises psychiques et que nous ne sachions donc pas comment y réagir. Les cours de secourisme basiques sont nécessaires pour aider des personnes en proie à des crises physiques, mais ils devraient aussi l’être dans le domaine  psychique.  

Les termes de fou, malades, dépressifs ou bipolaires sont ancrés dans le langage courant, utilisés comme des insultes. En utilisant ces abus de langage, nous déshumanisons les concernés en les réduisant à leurs troubles.  A tel point que la plupart passent souvent par une phase d’auto-stigmatisation, leur maladie devenant pour eux un tabou. À cause du peu d’information dont nous disposons, de nombreuses personnes peuvent être dans le déni de leur condition ou refuser de se faire aider. Pourtant, d’après L’Organisation mondiale de la santé, les troubles psychiques deviendront d’ici 2030 la principale cause de mortalité des pays industrialisés. Face à une telle urgence, il serait temps de comprendre que la maladie mentale n’est pas un problème individuel, mais bien un problème systémique. La dépression est l’une des principales causes d’invalidités professionnelles en France, nous en parlons peu ou de manière totalement stéréotypée. Cette explosion des troubles psychiques montre l’urgence de repenser nos modèles capitalistes et  productivistes qui polluent  nos écosystèmes et notre santé, poussant  au burn out et à la dépression.   Le manque d’information, de sensibilisation et la psychophobie omniprésente empêchent le sujet de véritablement être sur le devant de la scène publique. 

Des outils pour lutter contre la psychophobie

L’une des manières les plus efficaces de réduire les stigmas qui existent autour  d’un sujet est d’en parler afin de lutter contre les mauvaises représentations. Ces dernières années, des représentations plus réalistes permettent de sensibiliser au vécu des personnes souffrant de problèmes mentaux. Que ce soit pour l’anxiété avec le personnage de Jackson de Sex Education, du stress post-traumatique de Tony Stark dans Iron Man 3, ou encore de la bipolarité de Kat dans Spinning out, les représentations progressent. Pour certaines personnes, ces représentations peuvent être une véritable prise de conscience et une réponse à leur souffrance comme l’explique le podcast Après la pluie : “J’ai tout compris en regardant Crazy ex-Girlfriend”

Des collectifs à l’image de celui d’Arts Convergences travaillent avec des artistes ayant des difficultés psychiques afin de leur permettre de partager leur expérience. J’ai pu échanger avec l’artiste Ambre Klein sur l’importance thérapeutique de l’art et son efficacité dans la rémission des patients. Le fait de donner de la voix à ces sujets est d’une importance capitale, pour les concernés et leur entourage mais aussi pour faire évoluer les regards sur ces questions. 

Les artistes qui donnent de la visibilité aux problèmes liés à la santé mentale ont un pouvoir concret pour faire avancer les choses. Suite à une interview sur TF1 où Stromae a interprété son titre L’enfer, se confiant sur ses pensées suicidaires, on a observé une explosion des appels au 3114, le numéro national de prévention du suicide. Ce titre est d’utilité publique, le suicide étant la première cause de mortalité chez les jeunes après les accidents de la route. Suite à son passage sur TF1, Stromae a été victime de psychophobie  de la part du rappeur Booba sur Instagram, sortant l’argument récurrent de la victimisation des personnes souffrant de troubles psychiques. Cet argument, l’ancienne rappeuse Diam’s l’a également évoqué lors d’une interview sur Brut. Elle s’est confiée sur ses problèmes de santé mentale, la poussant, comme Stromae et tant d’autres, à arrêter sa carrière. Elle explique qu’à l’époque, elle était vue comme capricieuse et que sa santé mentale n’était pas prise au sérieux, considérée comme un moyen d’attirer l’attention, au point où elle a elle-même intériorisé cette stigmatisation. La honte et la méconnaissance des problèmes mentaux poussent de nombreuses personnes à refuser de se faire aider. 

C’est ce qu’à vécu le fils de Bénédicte Chenu, l’une des membres fondatrice du Collectif Schizophrénie, pour lequel elle témoigne dans une interview pour Le Média. Elle y explique qu’en plus de la maladie, il a dû faire face à un regard social violent, qui rend la maladie non acceptable et sans aucun recours possible. Il s’est retrouvé enfermé dans un fatalisme suite à son diagnostic, le poussant à vouloir s’isoler et refusant de se soigner,l’amenant à une situation critique. Mais ce qui lui a permis de s’en sortir aura été d’échanger avec d’autres concernés. La pair-aidance permet par exemple d’être en contact avec des personnes partageant son vécu et d’avoir accès à un savoir expérientiel  qui devient une preuve vivante d’espoir et de la possibilité de s’en sortir.  Ce statut est peu développé en France mais il est institutionnalisé  dans de nombreux pays anglo-saxons. Les pair-aidants y travaillent avec des psychiatres et chercheurs, revalorisant le savoir fondé sur l’échange et  permettant de sortir du fatalisme parfois induit par le diagnostic. La pair-aidance permet aux concernés de passer du statut de personnes qui ont subis à personnes qui aident, montrant une efficacité thérapeutique à la fois pour le pair-aidant et pour le patient dans les pays où elle est pratiquée. L’une des solutions les plus efficaces, pour lutter contre la stigmatisation et l’auto-stigmatisation induites par la psychophobie, semble ainsi être le partage d’expérience, permettant à de nombreuses personnes de sortir de leur isolement pour retrouver un sentiment d’appartenance. 

Feau Inès

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