Médiaphi

Un logement à soi-même

Derrière les murs de nos chambres, l’histoire de nos vies se déroule. Avoir un endroit pour dormir en paix, être au calme et  se reposer, nous semble anodin, mais ce plaisir si simple et ordinaire reste un luxe loin d’être offert à tous. Si avoir un lieu pour s’abriter ne suffit pas pour que nous nous y sentions à  l’aise, qu’est ce qui nous fait nous sentir chez nous ?

En mai 2020, à la fin du premier confinement pendant lequel la majorité des personnes sans abri de la Métropole de Lyon avaient été logés dans des centres d’hébergements d’urgence, la mairie de Villeurbanne a mis à disposition de la Métropole plusieurs dizaines de logements sociaux dans le cadre du programme « Zéro retour à la rue ». Aujourd’hui, avec la signature de la Déclaration des Droits des Personnes Sans-Abris adoptée en conseil municipal le 16 novembre 2020, la mairie s’engage dans un communiqué à aller plus loin dans « une stratégie locale de résorption du sans-abrisme », en prévoyant en outre des « conventions d’occupation précaire de bâtiments publics désaffectés », tout cela en contrepartie d’un accompagnement social. Ces politiques volontaristes visent certes à démocratiser l’accès au logement, et elles méritent d’être saluées. Mais prennent-elles réellement en compte la dimension sociale et psychologique de l’habiter ?

Des murs construits à l’aveugle

En effet, il ne suffit pas d’offrir un logement à quelqu’un pour qu’il s’y sente chez lui. Ces logements attribués par une autorité sont souvent temporaires, et s’ils sont fonctionnels, leurs intérieurs restent impersonnels et froids. Lorsque se loger est une nécessité, choisir un logement à son goût est un luxe. Le sociologue Pierre Gilbert, étudiant la rénovation des HLM du quartier lyonnais des Minguettes, a montré que l’introduction de cuisines ouvertes dans ces appartements occupés par des familles de classes populaires, souvent de confession musulmane, a mis à l’épreuve le partage social de l’espace de ces familles. La cuisine ouverte abolit les frontières de la cuisine : auparavant un espace privé, lieu féminin propice à la confession, refuge pour les femmes, l’espace de la cuisine se trouve exposé au salon qui est lui un monde d’hommes, bousculant alors le quotidien des familles. Ces logements sociaux contrarient donc parfois les habitudes des familles, et peinent à répondre à leurs besoins. Subordonnés aux pouvoirs des autorités, les individus sont réduits à la passivité, ils « sont logés » et ne sont plus acteurs de leur habitation.

Loyers modérés, et rêveries empêchées

L’habitation est plus qu’un simple abri, c’est un endroit que l’on occupe et où l’on s’installe. Dans sa Poétique de l’Espace, Bachelard insiste sur la rêverie que nous investissons dans les lieux où nous habitons. La  maison est un espace de souvenir, c’est un lieu où le passé, le présent et l’avenir se rencontrent. Décrire l’espace matériel comme un géomètre, ne suffit pas pour saisir ce qu’est notre « chez soi » : nous mettons un peu de nous dans les espaces où nous demeurons, et ces lieux finissent par nous habiter. En prenant l’exemple de la maison natale, Bachelard estime que nous construisons une relation presque organique avec les lieux que nous habitons, au point où « la maison natale est physiquement inscrite en  nous ». Les habitudes que nous y avons sont presque des automatismes. Si bien que si nous retournions sur ces lieux qui nous ont marqué, « nous retrouverions les réflexes […] nous ne buterions pas sur telle marche un peu haute […] nous irions sans lumière dans le lointain grenier ». Ces lieux nous façonnent autant que nous les façonnons, nous permettant de créer des mondes à notre image, propices à notre bien-être. 

« Elle est le premier monde de l’être humain. Avant d’être “jeté au monde” comme le professent les métaphysiques rapides, l’homme est déposé dans le berceau de la maison. »

Bachelard, La Poétique de l’espace, (1957)

Lucie Astier

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