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La République monétaire des Gones

On peut croiser à Lyon une monnaie citoyenne appelée la Gonette, un phénomène local représenté avec des plumes. C’est un petit succès, tout comme les nouvelles monnaies qui fleurissent partout dans l’hexagone. Nouvelles monnaies, vous avez dit ? Pas si sûr, Platon en parlait au Vème siècle !

Relocaliser la finance

Tout est parti de la dernière crise financière issue des banques étatsuniennes, qui a frappé de plein fouet l’Europe à partir de 2009. La première monnaie locale contemporaine, le sardex italien issu de la Sardaigne, avait ainsi permis la mise en circuit de l’équivalent de 31 millions d’euros en 2015. Le but ? Relocaliser la circulation monétaire, et en faire profiter la région elle-même, sans crainte de voir disparaître la monnaie dans les marchés mondiaux. L’impératif est ici sécuritaire : il faut réserver une partie importante de l’argent de façon à ce qu’il ne soit pas capté par les mécanismes hors-sol d’accumulation du capital international. On parle ainsi fréquemment d’éviter « l’hémorragie financière » : les marchés financiers charrient sans le vouloir le sang et la sueur des travailleurs, et il faudrait s’en protéger.

Démocratiser l’économie

Les monnaies locales permettent plus précisément aux peuples de reprendre en main le pouvoir de création monétaire, au-delà de sa seule circulation. Depuis la signature du Traité de Maastricht en 1992, fondation de l’Union Européenne, ce pouvoir a été retiré des mains de l’État pour devenir le terrain réservé de la Banque Centrale Européenne (côté public) et des banques d’affaires (côté privé). En France, la monnaie locale la plus importante est l’eusko, monnaie du pays Basque, avec plus d’un million d’unités en circulation. La monnaie locale réserve alors une part conséquente de l’argent en circulation à la sauvegarde des commerces, entreprises et associations locales. Ici est directement revendiqué l’aspect de la souveraineté économique : il faut d’abord (superus) repenser la loi (nomos) du foyer (oikos), avant que la république ne finisse noyée.

Vers une monnaie républicaine

D’autres encore soulignent l’aspect citoyen de ces monnaies. Ainsi, la Gonette est une monnaie locale citoyenne complémentaire (MLCC), c’est-à-dire une monnaie s’ajoutant à l’euro, qui ne se contente pas de définanciariser l’économie ou de soutenir les commerces locaux, mais a en plus la volonté de soutenir les initiatives sociales, solidaires, écologiques et démocratiques. Nombre de MLCC demandent aux commerces qui veulent l’utiliser d’accepter une charte de valeurs ; la Gonette revendique par exemple un usage de la monnaie « dans un esprit de solidarité et d’équité pour tisser un lien social juste et chaleureux », ou d’agir avec la « volonté de respecter la Terre et le monde Vivant. » Porte-monnaie et compte en banque deviennent ainsi bien plus politiques que du temps du boycott !

Ces trois dimensions (éviter l’enrichissement hors-sol, reconquérir la souveraineté économique, faire un usage citoyen de la monnaie) réalisent une partie du programme de la cité platonicienne  des dialogues de la République ou des Lois. Seule différence et pas des moindres, l’adjectif « complémentaire » est du mauvais côté : pour Platon, c’est l’euro qui doit être à l’arrière-plan.

« [La monnaie servira seulement] pour les échanges quotidiens qu’on ne peut manquer d’avoir avec les artisans et avec tous les gens de cette sorte (…) Il doit y avoir une monnaie qui ait cours entre les citoyens, mais qui soit sans valeur pour le reste de l’humanité. Quant à une monnaie grecque commune, elle sera réservée aux expéditions militaires et aux voyages hors du pays chez les autres peuples »

Platon, Les Lois, V [742a – 742c], trad. L. Brisson et J-F. Pradeau

Marin Lagny

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