
Nouveau climat politique pour le dérèglement climatique ?
Tant au Parlement que dans les actions quotidiennes, dans les pétitions ou les manifestations, la mobilisation écologique reste minime au regard de son importance. Récemment, les mobilisations contre l’autoroute A69 ou contre les méga-bassines de Sainte-Soline font scandale. Toutefois, si l’on en entend parler, c’est moins sur le fond du débat : la crise écologique et la pertinence des projets, que sur les violences policières et les accusations d’écoterrorisme. La cause est encore une fois reléguée au second plan. C’est sur ce tableau que les militants épuisés de voir leurs motivations détournées s’interrogent sur la pertinence de leur engagement. Des déjà-convaincus remettent en question leur engagement : l’écologie est une cause perdue, « peu importe nos actions, rien ne change ». De l’autre côté, ceux qui ne se sont pas encore lancés tiennent le même discours, mais au conditionnel ou au futur. Un fatalisme s’instaure, remède contre l’éco-anxiété ou vaccin inhibiteur.
Or, de toute évidence, il est nécessaire d’initier un mouvement continu pour atteindre les objectifs souhaités. Néanmoins dans le cadre privé, les accusations culpabilisatrices ou moralisatrices ne semblent faire aucun effet et ne mènent qu’à des confrontations tant sur la scène publique que dans les cercles privés. Le monde entier vit désormais dans un paradigme dans lequel la nature s’efface pour n’être qu’une scène des actions humaines. Notre manière générale de consommer est à revoir, au sein de chaque domaine individuellement et dans l’ensemble des domaines pris collectivement. Ainsi, les néophytes sont désorientés face aux injonctions arrivant de tous bords.
Le propos de cet article est de renverser la réticence générale à l’écologie. Il ne s’agit pas de proclamer en quoi il serait juste ou agréable d’être écolo mais de simplement faire entrer la Nature en politique, qu’elle puisse être un objet de débat. L’idée provient du constat que les positions écologiques sont récusées avant même d’être étudiées sur le fond, sur la cohérence générale au vue de la situation. Plutôt que d’accuser les actions individuelles de chacun, l’idée est d’éclaircir la situation politique actuelle pour mieux se situer et mieux se rediriger. Cette localisation permet de se situer face à un problème évidemment déplaisant qui permet d’imposer un consensus qui pourra amener une forme minimale d’éthique environnementale.
Le double dualisme de la politique moderne
Dans son opuscule Comment s’orienter en politique, Bruno Latour présente et complète progressivement un schéma de la conception moderne de la politique puis celle à laquelle on devrait tendre.

De manière résumé, ce premier schéma, important pour la suite, montre la conception moderne de la politique. Un nouveau dualisme se superpose à celui de droite et de gauche, il s’agit du dualisme entre local et global. Ces deux derniers sont définis comme des “attracteurs”, c’est-à-dire comme des concepts montrant une certaine représentation de l’objectif de société qui attirent donc les individus à tendre vers cet idéal. Vers le local, nous retrouvons une réticence à la modernisation et gagnons l’étiquette de “réactionnaires”. Ce côté peut être autant représenté par des individus se disant de “droite” que de “gauche”, on peut autant prôner le mode de vie “chasse, pêche et tradition” que faire la publicité de la permaculture en sarouel. Vers le global c’est la même chose. Or nous sommes ici des “progressistes”, on fait des manifestations pour les droits LGBT ou on investit dans les cryptomonnaies en regardant des réels Instagram “objectif millionaire”. On comprend donc par cette schématisation vulgaire qu’un sens nous est imposé, peu importe comment nous justifions nos positions, la société encourage de traverser ce front de modernisation : les locaux seraient “moyenâgeux”, les globaux comprendraient quant à eux le sens de l’histoire.
Toutefois, Latour poursuit son analyse en montrant que le schéma se fige et que le front de modernisation n’est plus un concept sur lequel on indexe telle ou telle position, mais s’efface, se brise pour devenir la marque de tensions politiques. Seules les étiquettes de réactionnaires ou progressistes demeurent, tous deux connotés péjorativement (tout comme celles de droite et de gauche).
Suite à cela, un troisième attracteur survient, c’est le “hors-sol” qui se définit par les utopies que tout un chacun scande dans les débats publiques sans qu’elles ne soient dotés de réalité, de faisabilité matérielle. Bruno Latour l’illustre notamment par Trump et les Etats-Unis, qui, plutôt que de montrer l’exemple de la marche à suivre pour l’écologie sur la scène internationale, s’est coupé de cette urgence pour foncer vers leur utopie économique et politique, quand bien même elle détruit l’environnement.
La nature : acteur actif ?
Peu original mais très intéressant, reprenons l’analyse de Michel Serres, dans Le contrat naturel à propos du Duel au gourdin du peintre Goya. Deux duellistes s’affrontent violemment sans observer qu’ils s’enlisent dans la boue. En bref, la critique effectuée est la suivante : l’histoire s’est toujours limitée à chercher qui des deux duellistes, va l’emporter, pareillement pour les deux concernés sur l’instant. Or, un point de vue extérieur constate immédiatement qu’à la longue ce sera la terre qui l’emportera. « Le monde muet, les choses tacites placées jadis là comme décor autour des représentations ordinaires, tout cela, qui n’intéressa jamais personne, brutalement, sans crier gare, se met désormais en travers de nos manigances. Fait irruption dans notre, culture, qui n’en avait jamais formé d’idée que locale et vague, cosmétique, la nature ».
Le pari de Serres
En outre, Michel Serres évoque un « pari », dont on peut faire le tableau suivant :

Le nouveau front de modernisation
Revenons à Latour, le Terrestre (l’attracteur 3) désigne le monde sur lequel nous sommes, non plus seulement comme décor, arrière-plan des actions humaines, mais aussi comme acteur politique, doté d’intérêts et capable de les manifester. Le détour par Michel Serres permettait de montrer un fondement pour ce détournement vers le Terrestre, en tout cas cela permettait la découverte de l’existence de ce nouvel attracteur. Latour écrit : “On peut se tourner vers l’attracteur Terrestre depuis le rêve maintenant terminé d’un accès impossible au Global, mais aussi depuis l’horizon, toujours aussi éloigné, du retour au Local”. Il ajoute : “La réorientation montre les négociations qu’il va falloir mener pour déplacer les intérêts pour ceux qui fuient de chaque côté de l’ancien axe.”
Nous pouvons imaginer que cette réorientation amènera une “forme minimale” d’écologie. C’est-à-dire que tout un chacun (au moins la grande majorité de la population) ait une prise de conscience commune de l’importance de l’écologie, peu importe le point de départ d’après le schéma politique. L’idée de forme minimale implique qu’elle oblige le moins possible l’individu concerné, mais par conséquent, elle sera aussi moins efficace. Toutefois, l’idée est que chaque avancée dans ce domaine est à prendre, chaque négociation qui permet une réorientation vers le Terrestre est positive. Cette éthique servirait à guider inconsciemment, par une simple redéfinition politique, les individus devant le nouveau front de modernisation. Justement, la schématisation de ce cadre politique permet à chacun de se situer face à l’apparition de l’attracteur Terrestre. Cela implique de nouveaux référentiels qui font peser sur chacun un nouveau rôle sociologique, les comportements anciennement moderne de “droitard” de “gauchiste” sont amenés à changer. Ainsi l’observait-on avec Latour, le front de modernisation était un lieu de lutte. La droite et la gauche combattaient – et se combattent toujours – mais jamais ne se touchent, se jettent au visage leurs accusations et ricanements qui se heurtent en vol sans jamais cogner ces pseudos gladiateurs.

Le contrat naturel
A ce moment intervient cette nouvelle position politique, un tiers au combat surplombant ces soudards trop modernes en leur enjoignant un peu de réflexivité. Le Terrestre invoque modestement Serres, montre que la Nature n’est pas un décor mais est la partie à un contrat. Il explique que de la même manière que le contrat social n’implique pas que les individus s’entendent – ce qui n’est effectivement pas le cas -, il nécessite néanmoins obligations et contrepartie pour les contractants. C’est la définition simpliste du contrat : obligation et contrepartie. L’épithète “social” désigne la partie qui s’engage à s’associer à nous pour faire société. L’épithète “naturel” désigne de même la Nature qui accepte d’être notre hôte contre la maigre compensation de prudence en vue de la survie commune. Admettons alors ce nouveau contrat naturel, s’il est fictif, il nous montre toutefois notre attitude parasitaire à l’égard de la Terre, nous invitant à tendre vers la symbiose pour une conservation de notre espèce et de notre maison.
Le contrat social
Michel Serres reprend la métaphore du bâteau de Platon qui sert initialement à montrer la lutte pour le pouvoir en politique. Or, Serres y voit une métaphore toute différente. Les marins ont cette spécificité au sein du bâteau d’être immergé dans les relations sociales, sans aucun lieu pour se retirer. Un trouble à bord et c’est le collectif tout entier qui risque de sombrer avec leur habitat. Au dehors du bâteau la noyade ou le naufrage, au sein des rambardes apparaît une obligation de paix, d’un minimum d’entente et de prise en considération de la nature. “Le pacte social de courtoisie en mer équivaut en fait à ce que j’appelle contrat naturel. Pourquoi ? Parce que ici le collectif, s’il se déchire, immédiatement se livre, sans recul ni recours possible, à la destruction de sa niche”.
En conclusion, menacés par l’instabilité croissante de notre hôte qui fait de plus en plus voir ses intérêts de nouvelles attitudes sont exigées. Cette éthique minimale est autant individuelle que collective. Collective dans le sens où la politique doit contracter avec une nouvelle partie, les intérêts de l’environnement. Individuellement cette redirection politique permettra de retirer l’étiquette péjorative associée aux “écolos”. Il devient rationnel et normal d’être écolo. Les étiquettes de gauche et de droite, de progressistes et de réactionnaires pourront persister, mais désigneront de nouvelles façons de l’être. Cette éthique minimale amène progressivement de nouvelles valeurs et habitudes en politique, facilitant la réalisation des objectifs internationaux, sans pour autant imposer directement quoi que ce soit aux individus (mais indirectement dans leur schéma de pensée).
Timothé Marrocq

