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L’écologie technophobe,faux jumeau du solutionnisme technologique ?

La question environnementale occupe, on peut s’en réjouir, une place de plus en plus importante au sein du débat public. De nombreux discours plus ou moins informés prolifèrent sur la question, l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de déterminer comment résoudre l’une des questions les plus importantes de notre temps. Si les discours prétendant résoudre l’ensemble du problème via la technologie, ne convainc plus aucun écologiste sincère, ceux qui prétendent que la technologie est le problème occupe une place écrasante. En réalité, ce dernier discours est aussi inexact que le premier, et en matière de climat il conduit autant que le premier à l’inaction.

Selon, ces discours, ou bien la technologie ne peut pas régler les problèmes environnementaux, ou bien elle en posera des plus importants, si ce n’est pas les deux, tout discours qui parlerait d’une transition écologique serait en outre voué à renforcer le problème, car il conduirait à l’attentisme. Ironiquement, les tenants de ce discours ne produisent aucun scénario de transition, or il existe, du moins en matière de climat, une littérature scientifique sur les scénarios de transition, une littérature dont ils ne peuvent pas se prévaloir. Comme on le verra cette littérature avec le concours de celle des sciences de l’environnement, infirme régulièrement les assertions des discours technophobes; mais d’abord sa simple existence renverse l’accusation de produire de l’attentisme, puisqu’au contraire les sciences de l’ingénierie propose des scénarios pour décarboner l’économie. Et certes, on ne peut pas réduire les problématiques environnementales aux questions d’énergie et de climat, nous disions que ce discours affirme parfois que la transition énergétique serait plus néfaste que le réchauffement climatique. Là aussi, on verra que les sciences de l’environnement, sont pourtant là pour nous rappeler que les préjudices environnementaux et sociaux de l’exploitation des combustibles fossiles, ne s’arrêtent pas au climat, en fait la décarbonation présente des bénéfices indépendants de la question du réchauffement climatique.

La possibilité d’un mix électrique bas carbone

La technologie ne pourrait pas résoudre le réchauffement climatique, sur quelles prémisses cette déclaration s’appuie-t-elle? Les prémisses dépendent des technologies considérées, plusieurs technologies sont attaquées par ce qu’on convient ici d’appeler l’écologie technophobe, en fait la décarbonation de l’économie, par les technologies, passe par deux levier principaux, d’une part la décarbonation d’un mix électrique, et d’autre part l’électrification de la production. Un des cas d’électrification de la production est l’électrification des transports, dont l’une des instances est la voiture électrique, à qui les plus écologistes qui lui préfèrent souvent le développement des transports en commun1, lui attribue des tards sans fondement. A son propos, on entend qu’elle aurait un bilan carbone deux fois plus élevé que la voiture thermique une fois qu’on prend en compte sa fabrication, affirmation fausse qui confond la fabrication avec le cycle de vie. La fabrication d’une voiture électrique émet deux fois plus de CO2 que la fabrication d’une voiture thermique, seulement, l’essentiel des émissions d’une voiture thermique, sont liés à son utilisation. Dans un système électrique faiblement carboné, comme celui de la France, et plus simplement celui visé par la transition énergétique, le bilan carbone d’une renault clio diesel devient plus lourd que celui d’une renault zoé dès 25 000km d’utilisation, sur les 200 000km considérer pour l’ensemble du cycle de vie, l’avantage est nettement en faveur de la voiture électrique (12t contre 38t)2. De leur côté les technologies de production d’électricité bas carbone, ne sont jamais accusé d’émettre plus de que celles basé sur la combustions d’énergie fossiles, toutefois on entend à leur propos ou qu’elles ne pourraient pas exister sans les combustibles fossiles, ou qu’elles ne feraient que s’additionner aux combustibles fossiles, qu’elles ne pourraient pas s’y substituer. Dans le cas du premier argument, il ne s’applique que pour les énergies renouvelables intermittentes que sont l’éolien et le photovoltaïque. Reconnaissons que les énergies renouvelables pilotables rencontrent de sérieuse difficulté de déploiement, cependant il faut ajouter que les énergies renouvelables ne sont évidemment pas les seules énergies bas carbone, il faut rappeler l’existence du nucléaire. Enfin, cet argument est un pari contre le développement des méthodes de stockage, tel que l’hydrogène, pari prima facie est aussi peu évident que de parier en sa faveur, ce que nous apprend l’incertitude autours de ces technologies, c’est qu’il est plus sages de prévoir la construction d’un mix énergétique, qui intègre cette incertitude en ne misant pas tout sur des sources intermittentes. Certes la décision récente de l’UE de développer la filière hydrogène, y compris dans le cas où ce dernier est issu de production fossile, doit être critiquée, cependant, elle ne peut pas éluder la possibilité de stocker des renouvelables sur la base de l’hydrogène.

D’un autre côté, l’argument qui part de la prémisse que les énergies bas carbone ne ferait que s’additionner aux combustibles fossiles, bien qu’il soit en partie vrai, est aussi largement faux et inconclusif lorsqu’il s’agit de démontrer l’impossibilité d’une transition énergétique. Il est vrai que le déploiement des énergies bas carbone est en l’état, loin d’avoir réduit le recours aux combustibles fossiles, au contraire malgré le déploiement d’énergie bas carbone, on constate qu’au niveau mondial l’utilisation d’énergies fossiles ont continué de croître. Il est d’ailleurs important de noter l’existence des projets d’extractions fossiles, dans un contexte où le GIEC considère que l’épuisement de l’ensemble des gisements déjà exploités aurait pour conséquence de dépasser l’objectif climatique de 1,5°. Il est cependant faux de conclure qu’il ne peut pas y avoir de substitution des énergies carboné par les énergies bas carbone, ce que montre l’investissement dans les combustibles fossiles, c’est qu’il ne suffira pas de déployer des énergies bas carbone pour atteindre nos objectifs climatiques. Il faudra en outre avoir la volonté politique nécessaire pour arrêter tous les investissements dans les énergies fossiles, pour arrêter l’exploitation de gisement encore rentable, et plus largement arrêter les projets qui encouragent la combustion de ressource fossile, tels que les projets d’autoroutes ou d’aéroport, ainsi que renoncer à certaines technologies comme la voiture thermique. Les technologies de production bas carbone ne s’additionnent aux combustibles fossiles que si on ne renonce pas en même temps aux fossiles, quant à dire qu’ils seraient techniquement impossibles qu’elles se substituent, il faut rappeler que même dans le cas des énergies intermittence, pallier cette intermittence ne nécessite pas forcément de recourir à des énergies fossiles. Cela permet de diminuer de beaucoup la force de l’argument, toutefois, il est vrai que tous les usages des fossiles ne peuvent pas en l’état être substituée par des énergies bas carbone via de l’électrification. Ainsi, en est-il de l’avion et des bateaux ne peuvent être décarbonés que via des technologies encore à l’état de prototype, comme les carburants de synthèse ou l’hydrogène; technologies qui par ailleurs supposerons une consommation exorbitante d’énergie. Selon l’ADEME3 dans le cas le plus pessimiste, la production de carburant de synthèse supposerait l’équivalent de 13 EPR4, soit 20% de la capacité de production d’électricité actuelle, pour les seuls usages de la navigation et de l’aviation. Tout ce qu’on peut dire à leur propos, en particulier à propos de l’avion, c’est qu’il est plus que raisonnable de poser la question de la réduction de leurs usages.

Le coût environnemental de la transition face à celui du fossile

De là on entre-aperçoit les limites des argumentations qui s’opposent aux technologies en tant que moyen de décarbonation, il est vrai que la décarbonation elle-même ne pourra pas se faire par un pure et simple déploiement des technologies bas carbone, cependant, elles ont un rôle essentiel à jouer. Or, cette argumentation ne repose pas exclusivement sur la dénégation d’une décarbonation par la technologie, elle repose l’accusation qui leur est faite de déplacer et de renforcer les dégradations environnementales. Elle pose que les dégradations environnementales engendrées par le réchauffement climatique ne sont pas supérieures à celles engendrées par la transition énergétique elle-même, celles-ci pouvant même être supérieures à celle-là. Lesdites dégradations environnementales, sont ou liées à l’extraction minière associée à la construction d’infrastructures bas carbone, ou liées à l’utilisation même des technologies bas carbone. Les dégradations environnementales liées à l’extraction minière sont de deux ordres, ou on considère l’épuisement des ressources mobilisés par ces technologies, ou on considère les pollutions (chimique, eutrophisation, destruction d’habitat) entraînées par les activités d’extractions et de purification des minerais. Pour ce qui est de l’épuisement des ressources, il est important de noter, que les matériaux mobilisés ne sont pas nécessairement indispensables, que souvent on peut leur trouver des substituts, ainsi on peut faire des batteries de voitures électriques sans terre rare5. Pour ce qui est des pollutions associés au minage, il est important de souligner qu’il existe une seule étude rapportant qu’il serait possible que les effets de l’extraction surpasse celui du réchauffement climatique, et que cette étude propose simplement une quantification des surfaces affectés par des mines en supposant arbitrairement que les effets d’une mine s’étendent sur un périmètre de 50km alentours. Or ce résultat s’applique à l’ensemble des mines sans considérer la participation des technologies bas carbone dans l’ensemble, et ne propose aucune comparaison de cet impact avec les effets potentiels du réchauffement climatique. Il faut aussi rappeler que, si les impacts environnementaux d’une activité d’extraction varie selon ce qui est extrait et les conditions d’extraction, une façon dont on peut s’en faire une idée, est de regarder les flux de matière associé. Or ceux associés à l’extraction de combustible fossile sont supérieurs à ceux associés à l’extraction de métaux, en grande partie car les combustibles fossiles sont détruits à l’usage6.

Quant aux dégradations liées à l’utilisation même des technologies bas carbone, ces critiques n’affectent que celles employées dans la production d’énergie, et les objections qu’on leur fait, diffèrent d’une technologie à l’autre. En effet, il y a prima facies une différence importante entre les sources de production renouvelables et nucléaire, l’énergie nucléaire étant une source historiquement combattue par les mouvement écologistes. Ce qui est critiqué avec le nucléaire, ce sont les risques d’accident majeur et la question des stocks de déchets hautement radioactifs, cependant, les risques en termes de mortalité sont moins importants que ceux associés à la combustion d’énergie fossile. La pollution atmosphérique induite par cette combustion, si elle ne déplace pas des populations, tue celles qui l’inhalent quotidiennement bien plus sûrement que les rejets radioactifs associés à un accident nucléaire majeur, de tels évènements étant tout simplement extrêmement rares7. Le stockage des déchets nucléaires pose des questions plus difficiles, dans la mesure où il faudra côtoyer des sources de potentiel radioactivité pendant plusieurs millénaires, et que le risque de fuite dépendra de la méthode de stockage et de la préservation de la mémoire; difficultés à laquelle on n’a pas la prétention de donner des réponses définitives ici. Les énergies renouvelables sont historiquement promues par les écologistes, à l’inverse ce n’est jamais par principe qu’elles sont rejetées, cependant, ils leur arrivent régulièrement de s’opposer à tel ou tel projet d’éolienne ou de panneau solaire. Les raisons tiennent à l’artificialisation des sols associés pour le solaire photovoltaïque, qui peuvent représenter une destruction d’habitat ou de terres agricoles, un tel résultat n’est bien entendu pas nécessaire. On peut installer des panneaux photovoltaïques sur les toîts, cependant pour des raisons de coût et de possibilité (tous les toits ne peuvent pas les supporter), c’est le photovoltaïque au sol qui est privilégié. Toutefois, il serait faux d’affirmer que le bilan carbone d’un tel projet soit systématiquement négatif, au contraire, les émissions évitées peuvent facilement surpasser celles entraînées par le défrichage, ou celles qu’auraient absorbé les arbres par leur croissance; une telle affirmation suppose un calcul adapté au cas particulier8. Les raisons d’opposition, en ce qui concerne l’énergie éolienne, tiennent, chez les écologistes à ce que dans certains cas, on les accuse de mettre en danger les oiseaux par collision9. Cette critique des impacts de certaines installations éoliennes sur la biodiversité, rejoint celle qu’on peut faire au photovoltaïque au sol, ces dernières mettent en avant la nécessité d’étudier les impacts de ces installations sur la biodiversité. Le réchauffement climatique aura des effets majeurs sur la biodiversité, toutefois, il n’est jamais déraisonnable de demander à la transition énergétique de limiter ses propres impacts sur la biodiversité, le problème tient cependant à ce que les oppositions tendent à chercher l’espèce menacée qui leur permettra de ralentir le projet. Une telle recherche est nécessaire pour mesurer l’impact que cela aura sur la biodiversité, toutefois, il semble souvent qu’elle serve à rationaliser une opposition déjà actée, et qui ne s’estomperait pas si on démontrait que ladite espèce ne sera pas mise en danger par le projet.

La fausse opposition entre technologie et sobriété

Reste que l’opposition aux solutions technologiques ne repose pas seulement sur un dénigrement des technologies bas-carbone elle-même, elle repose aussi sur la proposition d’une alternative, qui selon certains opposants aux solutions technologiques, n’est pas prise en compte dans les scénarios de transition; cette alternative c’est la sobriété. Ils s’appuient sur l’idée que les solutions technologiques ne font que modifier les sources d’énergie, les vecteurs d’énergies, et qu’améliorer l’efficacité énergétique, cette dernière permet de garder les mêmes usages avec moins d’énergie, dans un contexte où les technologies bas carbone dépendent des énergies fossiles, il est bienvenu de minimiser l’énergie consommée. Toutefois, une autre solution permet de réduire cette consommation, à savoir la réduction des usages, autrement dit la sobriété. Ainsi si on souhaite diminuer l’empreinte carbone du chauffage, on peut l’électriser via une électricité bas carbone, dans ce cas la source d’énergie est nucléaire ou renouvelable, et le vecteur énergétique l’électricité. On peut aussi, améliorer l’isolation de son logement, ce qui constitue une amélioration de l’efficacité énergétique, en chauffant moins on peut obtenir une même température intérieure, enfin on peut diminuer la température intérieure, c’est-à-dire réduire notre usage. Si on veut diminuer les émissions de GES sans recourir à des solutions technologiques, la seule solution est la sobriété. Au moins faut-il prendre cette solution en compte, ce qui est supposé ne pas être le cas dans les scénarios de transition. De même pour l’électricité, les scénarios de transition énergétique de RTE10 envisage un scénario de sobriété, là où son scénario de référence anticipe une augmentation de la production d’électricité de 36% en France, son scénario de sobriété anticipe une augmentation de la production d’électricité de 17%. Même Néga-watte, association qui prône un recours massif à la sobriété, prévoit une hausse de 10% de la production d’électricité. D’ailleurs, le scénario RTE ne part pas d’une situation où la France électrifierait l’ensemble de ses usages, mais d’une situation où elle recourt massivement aux bioénergies, il suit les prévisions de la stratégie national bas carbone selon lesquels 42% de l’énergie final consommé seront des bioénergies. Ce qui est faux, ce n’est pas d’affirmer que la sobriété est utile pour une transition écologique, au contraire, celle-ci permet de diminuer les émissions de CO2 sans attendre le déploiement des technologies bas carbone, de limiter les coûts notamment environnementaux de la transition. Ce qui est faux, c’est d’affirmer, et qu’elle ne serait pas compatible avec les technologies bas carbone, et qu’elle se pourrait substituer aux déploiements de ces technologies.

Abel Hatchuel

  1. Précisons que certains scénarios de transition de l’ADEM, prévoit bien une réduction de la voiture individuelle, voir à ce propos le rapport de l’Adem 2022: “6.Grande variabilité de la demande entre les scénarios”< “3.Mobilité des voyageurs et transport de marchandise” <“2.Récit des transitions par secteur”
  2. Selon les modélisations réalisé par le vulgarisateur Rodolphe Meyer (alias « Le Réveilleur »), en utilisant le site climobil
  3. Agence de la transition écologique
  4. Réacteur nucléaire de 3e génération
  5. Voir à ce propos la vidéo sur les terres rare du vulgarisateur Rodolphe Meyer pour sa chaîne « Le Réveilleur »
  6. « Global Domestic extraction in 2019, by group », materialflows.net
  7. 0,03 mort par terawatt-heure pour le nucléaire, contre 2,8 pour le gaz fossile en 2020, selon le site statista « Nombre de morts par térawatt-heure d’électricité produite dans le monde en 2020, à cause de la pollution de l’air et des accidents, selon la source de production d’énergie »
  8. Voir à ce propos l’EP30 de la chaîne de vulgarisation « écologie rationnelle »
  9. Voir à ce propos la ligue de protection des oisieaux « Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune », 2017, et Comité national de protection de la nature « Autosaisine du CNPN sur le développement de l’énergie offshore en France », 2021, p.46
  10. Gestionnaire du réseaux électrique français

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