Médiaphi

Édito : « L’Éducation »

Parmi toutes les histoires que mon grand-père aura pu raconter sur ses années d’enseignement, ma préférée est aussi la toute première. Fraîchement nommé à Constantine en octobre 1954 et pas bien plus âgé que ses élèves (ni que moi actuellement), le voilà qui cherche une manière nouvelle de faire apprendre ses leçons à un jeune public.

« Au niveau des techniques, je m’imagine faire œuvre de novateur. En latin, je trouve un “truc” pour faire assimiler la grammaire. Je constate, en entendant les conversations de mes élèves, le lundi matin, le penchant très prononcé qu’ils manifestent pour le championnat de football local. Les internes viennent de différents villages et chacun de défendre les prérogatives de son club. Je divise donc ma classe en 6 équipes, chacune participant à un championnat de grammaire latine. […] Au bout de trois questions posées par l’un et par l’autre, le décompte des “buts” marqués est simple à faire. L’équipe victorieuse marque 3 points, l’équipe vaincue 1 point. En cas de match nul, les deux équipes emportent chacune 2 points. Le jour où le proviseur du lycée vient me voir travailler en classe de latin (lui aussi est philosophe de formation) il est enchanté de ma trouvaille. Je crois avoir inventé la pédagogie ! »

L’école toujours improvisée, Hubert Hannoun (1979)

Éduquer, c’est transmettre. Faire croître, éveiller. Participer au développement de l’être humain. D’aucuns évoqueraient le caractère juvénile de celui qu’on éduque, sans qu’une véritable fin de l’éducation ne puisse jamais apparaître. C’est la volonté d’un partage originel, celui des trésors et des leçons de l’humanité. Valeurs, connaissances, principes : le développement humain, à l’instar de l’éclosion de la fleur, est affaire d’eau et de lumière. Ce que j’aime dans l’histoire de mon grand-père, c’est la dimension purement pédagogique qu’il associe à sa mission éducative. Il ne se contente pas d’enseigner, il fait vivre. Le football et l’imagination brûlante au service de la résurrection d’une langue morte. Car c’est là l’un des premiers principes de la pédagogie : faire naître la curiosité et l’envie de connaître, partir du familier pour ramener au sujet même de la leçon du jour.

Dans le Phédon, Platon manifeste bien ce lien particulier entre l’élève et le maître, qui ne se limite pas à une transmission froide et verticale. Car c’est d’abord un échange, un double mouvement. Celui qui transmet apprend lui-même de son élève. L’éducation connaît un point de départ, mais certainement pas de point d’arrivée. L’être qui se tient toujours en éveil n’a jamais fini d’apprendre, c’est-à-dire d’être éduqué. Par un ami, par un amant, un professeur, par un évènement ou par la vie elle-même, comme une potentialité de chaque instant. Pourvu que l’on veuille bien s’y montrer sensible.

Le Médiaphi, la renaissance du Médiaphi, c’est pour nous le pari de transmettre, d’éveiller, d’instruire et de partager. Alors dans ce numéro, et dans tous les suivants, nous veillerons à ce que vous trouviez derrière chaque page le fruit de questionnements, de débats, de réflexions et d’idées philosophiques (parfois même les vôtres !) propres à vous faire appréhender votre vie, vos relations et les aventures du quotidien avec un esprit plein de questions et d’espoir.

L’éducation, ce serait peut-être ce dialogue constant que l’on mène avec la Vie.

Arthur Hannoun

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